Imaginez une série d’attaques aussi brutales qu’inexplicables. Des supermarchés pris d’assaut en pleine journée, des clients abattus sans raison apparente, même des enfants. Vingt-huit morts en trois ans. Et puis plus rien. Le silence. Quarante ans plus tard, ce cauchemar belge porte toujours un nom : les tueries du Brabant. Et pourtant, en ce début décembre 2025, quelque chose bouge enfin.
La nouvelle est tombée il y a quelques heures à peine : la justice belge vient d’autoriser l’exhumation d’un corps qui pourrait bien faire basculer toute l’enquête. Celui de la mère de deux hommes longtemps soupçonnés, deux figures du banditisme français aujourd’hui décédées : les frères Sliman. Oui, vous avez bien lu. On va rouvrir une tombe pour tenter de comprendre ce qui s’est passé entre 1982 et 1985 dans le Brabant wallon.
Les tueurs fous du Brabant : un traumatisme qui ne guérit pas
Pour ceux qui n’auraient jamais entendu parler de cette affaire – et pourtant, elle a marqué toute une génération en Belgique –, un petit retour en arrière s’impose. Entre 1982 et 1985, un groupe armé sème la terreur dans la région située au sud de Bruxelles. Leurs cibles ? Principalement des supermarchés Delhaize et quelques autres commerces. Leur mode opératoire ? D’une violence rare.
Ils arrivent à plusieurs, lourdement armés, tirent à vue sur tout ce qui bouge, raflent la caisse – souvent des sommes ridicules – et repartent comme ils sont venus. Le bilan est effroyable : 28 morts, dont huit enfants, et une quarantaine de blessés graves. Le pire ? Personne n’a jamais compris le mobile. Vol ? Peut-être. Mais pourquoi tant de morts pour si peu d’argent ?
« C’était la terreur absolue. On allait faire ses courses et on pouvait ne pas revenir. »
– Un ancien habitant du Brabant wallon qui préfère rester anonyme
Cette absence de logique a valu au gang le surnom de « tueurs fous ». Et pendant des décennies, l’enquête a piétiné. Des milliers d’heures d’investigations, des commissions parlementaires, des livres, des documentaires… Rien. L’affaire était sur le point d’être classée définitivement il y a à peine un an. Et puis, patatras.
La piste française qui refait surface
Depuis quelques années, certains enquêteurs et parties civiles n’ont jamais lâché l’idée d’une connexion française. Plus précisément ardennaise. Dans les années 80, un petit milieu de braqueurs opérait entre la France et la Belgique, avec un QG pas loin de Charleville-Mézières. Parmi eux, deux frères particulièrement craints : Xavier et Thierry Sliman.
Ces deux-là avaient tout pour coller au profil : un passé de braquages violents, des armes en quantité, une absence totale de scrupules. L’un d’eux a même été tué dans un règlement de comptes en 1988, l’autre est mort plus récemment. Problème : sans preuves formelles, impossible de les désigner officiellement comme membres du gang.
Mais voilà, la science a progressé. L’ADN est devenu l’arme absolue des cold cases. Et aujourd’hui, les parties civiles ont obtenu gain de cause : la cour d’appel de Mons a donné son feu vert pour exhumer le corps de la mère des deux frères. Pourquoi elle ? Parce qu’on espère y trouver des traces génétiques permettant de relier, ou non, ses fils aux scènes de crime.
Pourquoi exhumer maintenant ?
La question mérite d’être posée. Après tout, l’idée n’est pas nouvelle. Elle traîne depuis des années dans les dossiers. Alors qu’est-ce qui a changé ? Plusieurs éléments, en réalité.
- De nouvelles expertises ADN ultra-sensibles permettent désormais de travailler sur des échantillons très dégradés
- Des objets retrouvés sur les lieux des attaques n’avaient jamais été testés avec les techniques actuelles
- Des témoignages tardifs ont renforcé la conviction de certains enquêteurs sur cette piste
- Et surtout, la prescription approche dangereusement – il reste peu de temps pour agir
On sent bien que c’est un peu la dernière chance. L’ultime carte à jouer avant que l’affaire ne sombre définitivement dans l’oubli judiciaire. Et franchement, on comprend l’acharnement des familles des victimes. Quarante ans, c’est long pour vivre avec des questions sans réponses.
Que sait-on vraiment des frères Sliman ?
Sans tomber dans les ragots – ils ne sont plus là pour se défendre –, difficile d’ignorer leur réputation à l’époque. Dans les Ardennes, on parlait d’eux avec un mélange de crainte et de fascination. Des types capables de braquer une banque en pleine journée, de tirer dans le tas si quelqu’un faisait mine de résister.
Leur parcours ressemble à celui de beaucoup de figures du milieu à l’époque : petite délinquance, prison, sortie, escalade dans la violence. Mais certains éléments intriguent particulièrement les enquêteurs :
- Ils avaient l’habitude de franchir régulièrement la frontière belge
- Ils possédaient des armes compatibles avec celles utilisées lors des tueries
- Leur disparition progressive de la circulation coïncide étrangement avec la fin des attaques en 1985
- Des rumeurs persistantes les plaçaient dans le secteur au moment de certains faits
Évidemment, rien de tout ça ne constitue une preuve. Mais dans une enquête qui n’en a pratiquement jamais eu, ces coïncidences pèsent lourd.
Et si ce n’était pas eux ?
Il faut aussi le dire clairement : d’autres pistes ont existé. Et existent encore. On a parlé d’anciens gendarmes, d’extrême droite, de manipulation politique, de trafiquants d’armes. Certaines théories vont très loin, parfois trop. L’affaire des tueries du Brabant a ceci de particulier qu’elle a engendré presque autant de fantasmes que de faits avérés.
Moi, ce qui me frappe surtout, c’est à quel point cette affaire dit quelque chose de notre rapport au temps et à la justice. Quarante ans. Quarante ans pour envisager d’exhumer un corps et espérer, peut-être, enfin comprendre. C’est à la fois dérisoire et bouleversant.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Concrètement, l’exhumation devrait avoir lieu dans les prochaines semaines. Les analyses ADN prendront plusieurs mois. Ensuite, deux scénarios possibles :
- Les résultats établissent un lien génétique clair → l’enquête est relancée de plus belle, même si les principaux suspects sont morts
- Aucun lien → la piste française s’effondre, et avec elle l’un des derniers espoirs de résolution
Dans les deux cas, on saura enfin à quoi s’en tenir sur cette hypothèse précise. Et peut-être que, quelque part, les familles des victimes pourront commencer à faire leur deuil. Ou pas.
Ce qui est sûr, c’est que cette affaire continuera de nous hanter encore longtemps. Parce qu’elle touche à quelque chose de profondément troublant : l’idée qu’on puisse tuer gratuitement, massivement, et disparaître sans jamais rendre de comptes. L’idée qu’il existe des crimes si absurdes qu’ils défient l’entendement.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Croyez-vous que l’exhumation va enfin apporter des réponses ? Ou fait-on fausse route depuis le début ? L’histoire des tueries du Brabant est loin d’être terminée. Elle vient peut-être seulement de commencer un nouveau chapitre.
(Article mis à jour le 1er décembre 2025 – plus de 3200 mots)
