Imaginez la scène : vous posez le pied à Pretoria, 1 350 mètres d’altitude, 30 °C à l’ombre (quand il y en a), et en face, des Bulls qui sortent d’une tournée d’automne où ils ont marché sur tout le monde avec les Springboks. Franchement, combien d’équipes françaises auraient pris ce match avec autant d’appétit ? L’UBB, elle, a répondu présent. Et plutôt deux fois qu’une.
Ce n’est pas qu’une victoire bonifiée à l’extérieur, c’est une déclaration de guerre. Le champion en titre vient de montrer qu’il n’est pas venu faire de la figuration. Il est venu défendre son bien, point final.
Un début de match qui pose les bases de tout
56 secondes. Vous avez bien lu. Cinquante-six petites secondes après le coup d’envoi, Damian Penaud aplatit déjà dans l’en-but sud-africain. On n’a même pas eu le temps de s’installer dans le canapé que l’UBB menait 7-0. Ce n’était pas un coup de chance, c’était un plan.
Depuis leurs 22 mètres, les Bordelais décident de jouer à la main. Passe après-contact, offload, continuité : tout y passe. Les Bulls, surpris par la vitesse d’exécution, sont immédiatement asphyxiés. C’est le genre d’action qui te fait comprendre que l’équipe est revenue avec les crocs.
« On voulait frapper les premiers. On sait que c’est une équipe très lourde, très dense. On voulait les mettre dans le rouge tout de suite. »
Matthieu Jalibert, intenable tout le match
Et quand tu entends l’ouvreur dire ça après coup, tu te dis que le message est passé dans le vestiaire. On ne vient pas gérer en Afrique du Sud, on vient imposer son rugby. Point.
Jalibert, le patron absolu
Parlons-en, justement, de Matthieu Jalibert. Le garçon a tout simplement livré le match le plus abouti de sa carrière en club, et pourtant la barre était déjà haute. Animation ultra-rapide, choix toujours justes, un essai personnel à la 69e où il mystifie trois défenseurs… On a parfois l’impression qu’il joue dans une catégorie à part.
Ce qui frappe, c’est la maturité. Il n’en fait pas trop, il ne force rien. Il lit le jeu deux temps à l’avance et quand l’espace s’ouvre, il punit. Immédiatement. Les Bulls n’ont jamais trouvé la solution.
Petit aparté personnel : je l’ai vu débuter en pro, il y a déjà quelques années. À l’époque, c’était le talent brut, le feu-follet capable du meilleur comme du pire. Aujourd’hui ? C’est un patron. Un vrai. Et quand il est dans cet état-là, l’UBB devient quasiment injouable.
Une ligne de trois-quarts enfin au complet
Pour la première fois de la saison, l’ossature championne d’Europe était réunie : Lucu, Jalibert, Moefana, Depoortere, Buros, Penaud… Ça fait quand même une sacrée bande de copains. Et ça se voit tout de suite dès qu’ils ont le ballon.
- Des intervalles trouvés en un rien de temps
- Des offloads de malade même sous pression
- Une capacité à accélérer le jeu que peu d’équipes possèdent en Europe
Les Bulls, pourtant pas les derniers en défense, ont pris l’eau dès qu’il y a eu plus de trois temps de jeu. C’est simple : dès que Bordeaux arrivait à enchaîner, les Sud-Africains étaient en retard d’une seconde. Et à ce niveau, une seconde, c’est une éternité.
Le tournant : ces 8 secondes qui ont tout changé
Revenons à la 65e minute. Score : 33-34 pour les Bulls. Mêlée à 5 mètres de la ligne bordelaise. Les Sud-Africains sortent l’artillerie lourde : Grobbelaar, Steenekamp, Louw… trois champions du monde frais comme des gardons qui entrent pour détruire.
Sur la mêlée précédente, Bordeaux a pris cher. Tout le monde retient son souffle. Si les Bulls marquent là, le match bascule probablement.
Et là… huit secondes. Huit longues secondes où la mêlée bordelaise ne bouge pas d’un millimètre. Pas de pénalité, pas de carton, et surtout récupération du ballon. Huit secondes qui valent de l’or.
« Cette mêlée à 5 mètres, elle nous fait pratiquement gagner le match. »
Jean-Baptiste Poux, entraîneur de la mêlée
Derrière, l’UBB plante deux essais en cinq minutes. Le moral des Bulls s’effondre, celui des Bordelais explose. C’est souvent comme ça dans ces matchs-là : un moment, un seul, et tout bascule.
Un pack qui a tenu le choc (et plus encore)
On a beaucoup parlé des trois-quarts, mais le boulot des gros a été monstrueux. Tameifuna qui gratte des mètres en portant, Perchaud et Barlot qui tiennent face aux monstres sud-africains, Palu qui fait le ménage partout… Ce n’est pas un hasard si la mêlée décisive a tenu.
Et pourtant, on sait que la conquête sud-africaine fait peur à tout le monde. Eux, ils l’ont regardée dans les yeux et ils n’ont pas tremblé. Respect.
Ce que ça dit pour la suite
Une chose est sûre : cette UBB-là fait peur. Très peur. Quand elle arrive à aligner son quinze champion et qu’elle joue à cette intensité, il n’y a pas grand monde qui peut suivre.
Évidemment, il reste énormément de matchs. La phase de poules est longue, les doublons arrivent, les blessures aussi. Mais ce déplacement chez les Bulls, c’était le test parfait. Et ils l’ont réussi avec la mention « peut largement mieux faire »… ce qui est terrifiant pour les autres.
Parce que oui, il y a encore des réglages. Quelques ballons rendus bêtement, une ou deux fautes de discipline. Mais quand tu gagnes avec le bonus en étant perfectible, c’est que tu as une marge énorme.
Prochain rendez-vous européen dans quinze jours. Et quelque chose me dit que les autres équipes vont regarder les Bordelais un peu différemment maintenant. Ils ne défendent pas seulement leur titre.
Ils viennent le chercher une deuxième fois.
Et franchement ? Je ne parierais pas contre eux.
Score final : Bulls 33-39 UBB (5 essais à 4, bonus offensif dans la poche). Un exploit majuscule, un message clair envoyé à l’Europe entière. Bordeaux est là, plus fort que jamais. Et ça, ça fait plaisir à voir.
