Vous souvenez-vous de cette époque, pas si lointaine, où la droite française se divisait en deux camps très clairs ? D’un côté les républicains « purs et durs », héritiers du gaullisme et de Chirac, qui juraient qu’on ne toucherait jamais à l’extrême droite. De l’autre, ceux qui, déjà, chuchotaient que les digues étaient artificielles. Eh bien cette époque est en train de s’effondrer sous nos yeux, et franchement, ça fait un bruit énorme.
Ce matin-là, en écoutant la radio au petit-déjeuner, j’ai failli renverser mon café. Gabriel Attal, avec ce ton calme mais implacable qu’on lui connaît, a lâché une phrase qui résonne encore : « Il y a urgence à clarifier ». Pas une attaque frontale, non. Plutôt le genre de formule qui vous glace le dos parce qu’on sent qu’elle annonce un séisme.
L’union des droites n’est plus un fantasme, c’est une réalité en marche
On a beau tourner autour du pot depuis des années, les masques tombent enfin. Et le plus fascinant, c’est que ça vient de l’intérieur même famille politique. Un ancien président de la République écrit noir sur blanc qu’il n’y aura pas de front républicain en 2027. Un patron de groupe à l’Assemblée propose une primaire ouverte jusqu’aux proches de l’extrême droite. Un autre appelle à parler aux électeurs déçus sans complexe. Tout ça en quelques semaines seulement.
Franchement, on n’avait pas vu une telle accélération depuis l’alliance Ciotti de 2024 – cette histoire qui avait fait l’effet d’une bombe et fini en exclusion express. Sauf que là, personne n’exclut personne. On discute, on tâte le terrain, on avance masqué. Et pendant ce temps, à gauche du spectre républicain, on regarde le spectacle avec une pointe d’angoisse.
Quand Nicolas Sarkozy pose la première pierre
Il y a des livres qui passent inaperçus et d’autres qui font l’effet d’un coup de tonnerre. Le dernier en date appartient clairement à la seconde catégorie. L’ancien chef de l’État y explique tranquillement qu’il ne faudra pas compter sur lui pour barrer la route à l’extrême droite par un réflexe républicain. Pire : il appelle à un rassemblement « le plus large possible, sans exclusive et sans anathème ».
« Le chemin de reconstruction de la droite ne pourra passer que par l’esprit de rassemblement le plus large possible, sans exclusive et sans anathème »
Un ancien président de la République
Autrement dit : on arrête les enfantillages, on parle à tout le monde. C’est une rupture philosophique énorme. Pendant des décennies, la ligne magistrale était « jamais avec le FN/RN ». Sarkozy, en 2007, avait même construit une partie de sa victoire sur le refus de toute compromission. Dix-huit ans plus tard, il retourne sa veste avec une sérénité déconcertante.
Laurent Wauquiez joue la carte de la primaire XXL
Si certains hésitent encore, d’autres foncent tête baissée. Le président du groupe parlementaire de droite à l’Assemblée ne cache plus son ambition : organiser une grande primaire pour 2027 ouverte de Gérald Darmanin (l’ancien ministre de l’Intérieur macron-compatible) jusqu’à Sarah Knafo (la très à droite conseillère de Reconquête). Oui, vous avez bien lu : une primaire qui irait du centre-droit jusqu’à l’extrême droite dure.
L’idée peut paraître folle. Elle est surtout révélatrice. Parce qu’elle suppose qu’on mette tout le monde autour de la même table, qu’on accepte l’idée que les différences idéologiques ne sont plus vraiment compter. On n’est plus dans le débat programmatique, on est dans la stratégie électorale pure : comment ratisser le plus large possible pour battre la gauche et les restes du macronisme ?
Bruno Retailleau et la théorie de « l’union dans les urnes »
Le président du parti, lui, adopte une position un poil plus subtile. Pas question de « tambouille d’appareils », dit-il. Par contre, il appelle clairement les électeurs de l’extrême droite à revenir dans le giron de la droite traditionnelle. Sa formule ? Une union qui se ferait « dans les urnes ».
En clair : pas d’alliance officielle, pas de logo commun, mais un discours suffisamment à droite pour capter les déçus du macronisme et les anciens électeurs RN qui en ont marre des outrances. C’est malin. C’est aussi extrêmement risqué, parce que ça revient à dire : on garde nos étiquettes, mais on partage le même réservoir de voix.
Les irréductibles tiennent encore la barre
Heureusement (ou malheureusement, selon le point de vue), tout le monde ne suit pas le mouvement. Certains poids lourds résistent encore et toujours à l’envahisseur idéologique.
- Xavier Bertrand rappelle avec nostalgie la droite sarkozyste de 2007 qui combattait le Front national, pas qui le courtisait.
- Michel Barnier, sur un plateau télé, repose la ligne rouge avec une fermeté de vieux sage : « Pas d’alliance, pas de compromission » avec l’extrême droite.
- Dominique de Villepin, jamais le dernier pour un coup de gueule, parle même de « dérive extrêmement dangereuse ».
Ces voix-là existent encore. Elles sont minoritaires, mais elles portent. Elles rappellent que la droitisation n’est pas une fatalité, qu’on peut encore refuser le grand mélange.
Gabriel Attal, le pompier pyromane
Et c’est là qu’intervient le secrétaire général du parti présidentiel. Attal ne commente pas le livre, dit-il (on le croit sur parole). Par contre, il voit très bien ce qui est en train de se passer : un « bloc » se constitue, « droite radicale, extrême, antieuropéenne, climatosceptique ».
« Quand on accepte de faire tomber toutes les digues et de considérer qu’il n’y a plus de différence entre la droite et l’extrême droite, je pense qu’on renonce à la capacité à rassembler une majorité de Français »
Gabriel Attal
Le message est clair. Attal joue sur deux tableaux : il met la pression sur les modérés de LR (clarifiez-vous ou vous serez engloutis) et il prépare le terrain pour 2027 en posant Renaissance comme le dernier rempart républicain crédible. C’est du grand art politique.
2027, l’année de tous les dangers
Parce que soyons honnêtes : tout ça n’est pas un débat théorique. On parle de la prochaine élection présidentielle. Si une partie de la droite traditionnelle bascule vraiment dans l’union sans exclusive, le paysage politique français va être méconnaissable.
Scénario 1 : une grande coalition des droites se constitue réellement. Alors le RN n’a plus besoin d’alliances, il dicte sa loi à l’intérieur même du bloc conservateur.
Scénario 2 : les modérés tiennent bon et reconstituent un pôle central avec les restes du macronisme. Alors on revient à une forme de tripartition, mais avec une droite dure dopée par l’absence de digues.
Scénario 3 (le plus probable ?) : on reste dans l’ambiguïté jusqu’au bout, avec des discours de façade et des accords de couloir. Et là, c’est l’électeur qui tranchera – souvent dans la colère.
Ce qui est certain, c’est que le vieux clivage droite/gauche est en train de voler en éclats. À sa place, on voit se dessiner un affrontement entre un bloc souverainiste large (de Retailleau à Bardella) et un bloc progressiste/républicain qui, lui aussi, devra se réinventer.
Et nous, dans tout ça ?
Je ne vais pas vous cacher que cette recomposition m’inquiète autant qu’elle me fascine. Parce qu’elle dit quelque chose de profond sur notre pays : la colère est telle, le sentiment d’abandon si fort, que même les lignes les plus sacrées de la Ve République commencent à sauter.
On peut regretter l’époque où les digues républicaines voulaient encore dire quelque chose. On peut aussi se dire que, peut-être, le refus systématique de parler à 30 % de l’électorat n’était pas tenable éternellement.
Mais une chose est sûre : en ouvrant grand la porte, on ne sait jamais vraiment qui va finir par entrer. Et parfois, on ne peut plus la refermer.
Alors oui, Gabriel Attal a raison sur un point : il y a urgence. Pas seulement pour LR. Pour toute la démocratie française.
Et vous, vous en pensez quoi ? La droite doit-elle dépasser les digues ou les maintenir coûte que coûte ? La commentaire est ouvert, et croyez-moi, votre avis m’intéresse vraiment.
