Vous souvenez-vous de l’hiver dernier, quand la grippe a cogné particulièrement fort dans certaines maisons de retraite ? Moi oui. Des couloirs entiers touchés, des résidents fragiles emportés en quelques jours, des familles effondrées. C’est probablement ce genre d’images qui a poussé les députés, vendredi soir, à franchir le pas : rendre la vaccination antigrippale obligatoire pour tous les résidents d’Ehpad et pour une partie des soignants libéraux. Une décision qui ne passe pas inaperçue, et franchement, qui fait débat jusque dans les salons de thé de nos villes.
On en parle beaucoup, mais entre les titres alarmistes et les communiqués laconiques, il est parfois difficile de comprendre ce qui se joue vraiment. Alors prenons le temps. Respirons un grand coup. Et décortiquons ensemble ce vote qui, mine de rien, pourrait bien marquer un tournant dans la façon dont on protège nos aînés.
Une obligation… mais pas tout de suite et pas sans conditions
Premier point, et pas des moindres : ce n’est pas une obligation brutale et immédiate. Le texte adopté est malin, il se protège derrière un garde-fou de taille.
La vaccination ne deviendra obligatoire que sous réserve d’une recommandation de la Haute Autorité de santé. Autrement dit, si les experts scientifiques estiment que l’épidémie le justifie vraiment, alors l’obligation entrera en vigueur. Sinon, on reste sur du volontaire. C’est une sorte de clause « au cas où » qui permet au gouvernement de garder la main sans passer pour des dictateurs de la seringue.
Concrètement, ça concerne deux grandes catégories de personnes :
- Tous les résidents d’Ehpad, sans exception d’âge (même si évidemment, on parle majoritairement de personnes très âgées).
- Les professionnels de santé libéraux « exposés à des risques de contamination » – un décret viendra préciser qui exactement : médecins généralistes ? infirmiers libéraux ? kinés ? podologues ? On attend les détails.
Le vote a été plutôt large : 120 pour, 54 contre. Seule une partie de l’hémicycle s’est opposée franchement, les autres ont soit voté oui, soit… sagement abstenu. Ce qui en dit long sur l’ambiance actuelle : personne n’a envie de passer pour celui qui « laisse mourir mamie » en période hivernale.
Pourquoi maintenant ? Le poids des hivers passés
Revenons deux minutes en arrière. Ces dernières années, la grippe a montré qu’elle savait encore faire très mal, surtout chez les plus de 75 ans. On se souvient tous des chiffres : plusieurs milliers de décès chaque hiver, dont une large partie chez les personnes âgées vivant en collectivité.
Dans les Ehpad, la couverture vaccinale tourne déjà autour de 80-85 % selon les années – ce qui est énorme comparé à la population générale (où on peine à dépasser 50 % chez les plus de 65 ans). Mais les 15-20 % qui échappent au vaccin, ce sont souvent ceux chez qui la grippe fait le plus de ravages. Un seul résident non vacciné peut contaminer tout un étage. Et quand on sait que la létalité de la grippe chez les plus de 85 ans peut grimper à 10 %, on comprend mieux l’urgence perçue par certains.
« Un Ehpad, ce n’est pas une maison individuelle. C’est une collectivité fermée où le virus circule à la vitesse de l’éclair. »
– Un directeur d’établissement que j’ai eu au téléphone hier
Et puis il y a l’effet Covid. Disons-le clairement : la pandémie a changé la donne. On a vu ce que « protéger les anciens » voulait dire quand c’était pris au sérieux. Du jour au lendemain, on a confiné des Ehpad entiers, interdit les visites, mis des blouses partout. Alors aujourd’hui, rendre un vaccin obligatoire, ça paraît presque… doux en comparaison.
La grande question que tout le monde se pose : et si je refuse ?
C’est LE point noir, celui qui a fait tiquer même certains députés favorables à la mesure. Que fait-on d’un résident qui dit non ? On le met dehors en plein hiver ? On l’attache sur son lit ? (Évidemment non, ce serait une violation flagrante du code de la santé publique et du droit des patients.)
En réalité, on entre dans une zone grise juridique que le texte ne tranche pas vraiment. On sait déjà comment ça s’est passé avec le Covid : les soignants non vaccinés ont été suspendus sans salaire. Mais pour un résident ? Impossible de l’expulser comme ça. La seule piste réaliste, c’est probablement un arsenal de mesures barrières renforcées : isolement en chambre, port du masque permanent, interdiction de sorties collectives… Bref, une vie en Ehpad qui devient vite très compliquée.
Et c’est là que ça coince. Parce qu’on touche au cœur du débat : jusqu’où peut-on imposer une protection médicale à quelqu’un qui a toute sa tête et qui dit simplement « non merci » ? Même quand ce « non » met potentiellement les autres en danger ? C’est la vieille tension entre liberté individuelle et santé collective. Et franchement, je n’ai pas de réponse toute faite.
Les soignants libéraux dans le viseur : une mesure à géométrie variable
Pour les soignants, c’est un peu différent. L’idée, c’est de cibler ceux qui vont régulièrement en Ehpad ou chez des personnes très fragiles à domicile. Un infirmier libéral qui fait vingt visites par jour chez des octogénaires, s’il ramène la grippe, il peut faire un carnage.
Mais là encore, on attend le décret. Et on sent déjà venir les recours. Parce que suspendre un libéral sans salaire, c’est potentiellement le mettre en faillite en trois mois. Et je vous garantis que les syndicats d’infirmiers libéraux, déjà épuisés par les années Covid, ont la moutarde qui monte vite.
Ce que ça dit de notre société, au fond
Au-delà du technique, il y a quelque chose de plus profond. Ce vote, c’est un symptôme. On a de plus en plus de mal à accepter que des gens meurent de maladies qu’on sait éviter. On veut zéro risque, zéro mort évitable. Et quand la persuasion douce ne suffit plus, on passe à la contrainte.
Moi, ce qui me frappe, c’est le glissement. Il y a vingt ans, on recommandait le vaccin grippe. Il y a dix ans, on incitait fortement. Aujourd’hui, on oblige. Demain, pour quoi d’autre ? Le zona ? La pneumocoque ? La vitamine D ? Où pose-t-on la limite entre « c’est pour ton bien » et « tu n’as plus le choix » ?
Et puis il y a la question de la confiance. Chaque fois qu’on rend quelque chose obligatoire, on envoie aussi le message suivant : « On ne vous fait pas assez confiance pour prendre la bonne décision tout seul. » Est-ce que ça renforce vraiment l’adhésion… ou est-ce qu’à long terme, ça nourrit la défiance ? J’ai l’impression qu’on joue un peu à ce jeu-là depuis cinq ans.
Et maintenant ? Les prochaines étapes
- La Haute Autorité de santé va plancher dès cet hiver sur une éventuelle recommandation.
- Un décret précisera la liste exacte des soignants libéraux concernés.
- Les directeurs d’Ehpad vont devoir se préparer à gérer les refus – et ils sont nombreux à grincer des dents en privé.
- Et bien sûr, les recours juridiques ne vont pas tarder. Le Conseil d’État risque de passer de joyeuses fêtes.
En attendant, une chose est sûre : l’hiver 2025-2026 ne ressemblera à aucun autre dans les maisons de retraite françaises. Entre protection maximale et respect des libertés individuelles, on marche sur une corde raide. Et quelque part, c’est toute la société qui retient son souffle.
Prenez soin de vous. Et de vos grands-parents. Vaccinés ou pas, ils méritent qu’on s’occupe bien d’eux.
