Imaginez-vous dans une ville où l’argent liquide a presque disparu. Pas de billets dans les poches, pas de pièces qui tintent, et des banques aux portes closes. À Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), cette réalité frappe de plein fouet depuis que le groupe armé M23 a pris le contrôle de la ville en janvier 2025. Comment les habitants font-ils pour acheter du pain, payer l’école des enfants ou simplement survivre ? J’ai plongé dans leur quotidien, et ce que j’ai découvert est à la fois bouleversant et fascinant.
Une Ville Sans Argent Liquide : La Nouvelle Réalité de Goma
Depuis l’arrivée du M23, soutenu par le Rwanda, Goma vit une pénurie de liquidités sans précédent. Les autorités congolaises ont coupé l’approvisionnement en argent des zones sous contrôle rebelle, laissant les banques fermées et les distributeurs automatiques à sec. Les habitants, confrontés à cette crise, ont dû réinventer leur façon de vivre, de consommer et même d’éduquer leurs enfants. Mais comment s’organise une société quand l’argent liquide, pilier de l’économie, s’évapore ?
Le Troc, un Retour aux Sources
Dans les écoles de Goma, comme l’institut privé Majengo, les frais de scolarité ne se règlent plus en francs congolais ou en dollars. À la place, des parents d’élèves arrivent avec des bidons d’huile de palme, des sacs de farine ou d’autres produits de première nécessité. Ce système de troc s’est imposé comme une réponse pragmatique à la crise. Les enseignants, eux-mêmes privés d’accès à leurs salaires, acceptent ces biens pour subvenir à leurs besoins.
Les parents viennent avec des vivres, on évalue leur valeur comme au marché, et on note l’équivalent en argent dans nos registres.
– Un responsable d’école à Goma
Ce système, bien que créatif, n’est pas sans failles. Les produits proposés doivent être inspectés pour garantir leur qualité, et les enseignants doivent être d’accord pour les accepter. Pourtant, ce troc permet à l’école de continuer à fonctionner, même si les professeurs décrivent leur situation comme une simple survie. « On vivote », confie l’un d’eux, la voix lourde de résignation.
Une Économie Paralysée par l’Absence de Cash
La pénurie de liquidités ne touche pas seulement les écoles. Dans les rues de Goma, les marchés, autrefois bruyants et animés, sont devenus étrangement silencieux. Les commerçants, comme ceux du marché Birere, se plaignent d’un manque cruel d’acheteurs. Les produits de première nécessité arrivent encore en ville, mais les habitants n’ont plus les moyens de les acheter. Les bateaux qui traversent le lac Kivu vers le Sud-Kivu partent à moitié vides, un signe clair de l’effondrement économique.
- Chute des ventes : Avant la crise, un commerçant pouvait écouler 20 sacs de farine de maïs par semaine. Aujourd’hui, vendre 10 sacs par mois est une prouesse.
- Hausse des prix : Les difficultés d’approvisionnement et les nouvelles taxes imposées par le M23 font grimper les coûts des produits essentiels.
- Chômage galopant : Le départ de certaines organisations internationales et la morosité économique ont coûté leur emploi à de nombreux habitants.
Pour les salariés, la situation est tout aussi dramatique. Ceux qui reçoivent encore un salaire, souvent par virement bancaire, ne peuvent pas accéder à leur argent. Certains, comme les enseignants, se rendent au Rwanda voisin pour retirer du cash, mais cela implique des frais supplémentaires et des risques liés au passage de la frontière.
Les Solutions Numériques : Une Lueur d’Espoir ?
Face à cette crise, les autorités locales et le M23 encouragent l’utilisation des paiements mobiles. Mais à Goma, contrairement à d’autres pays d’Afrique de l’Est où les services comme M-Pesa sont omniprésents, ces solutions numériques peinent à s’imposer. La population, habituée à l’argent liquide, manque d’infrastructures et de familiarité avec ces technologies.
Les paiements mobiles, c’est l’avenir, mais ici, c’est encore une goutte d’eau dans l’océan.
– Un commerçant local
Les changeurs de monnaie, qui profitent de la situation pour imposer des taux prohibitifs, compliquent encore les choses. Le M23 a tenté de fixer un taux de change officiel pour limiter les abus, mais pour beaucoup, ces services restent inaccessibles dans un pays où la pauvreté est endémique.
Survivre au Quotidien : Les Sacrifices des Habitants
Pour les habitants de Goma, chaque jour est un combat pour la survie. Les familles réduisent leurs dépenses au strict minimum : pas de nouveaux vêtements, pas de repas élaborés, pas de loisirs. Une ancienne employée du service public, aujourd’hui femme au foyer, résume la situation avec amertume : « Tout ce qui compte, c’est de rester en vie. »
| Secteur | Impact de la crise | Adaptation |
| Éducation | Fermeture des banques, frais impayés | Troc de biens comme l’huile de palme |
| Commerce | Chute des ventes, hausse des prix | Vente à crédit, troc |
| Emploi | Chômage massif, salaires inaccessibles | Déplacements au Rwanda, débrouille |
Ce tableau illustre l’ampleur des défis auxquels les habitants sont confrontés. Pourtant, leur résilience est remarquable. Ils trouvent des moyens de contourner les obstacles, même si ces solutions restent précaires.
Un Contexte Géopolitique Explosif
La crise à Goma s’inscrit dans un contexte plus large de tensions entre la RDC et le Rwanda. Les pourparlers entre les deux pays, qui se sont engagés à travailler sur un accord de paix, n’ont pas encore porté leurs fruits. Pendant ce temps, les habitants des zones contrôlées par le M23 continuent de subir les conséquences d’un conflit qui les dépasse.
Le M23 a mis en place une régie financière pour collecter les taxes et encourager les dépôts d’épargne, mais cette initiative suscite la méfiance. Selon des experts, cette structure sert principalement à financer les activités du groupe armé, et non à relancer l’économie locale. En attendant, la criminalité explose dans les grandes villes comme Goma et Bukavu, où les rues se vident dès la nuit tombée.
Et Après ? Perspectives pour Goma
Combien de temps cette situation peut-elle durer ? C’est la question que tout le monde se pose à Goma. Les solutions actuelles, comme le troc ou les paiements mobiles, ne sont que des pansements sur une plaie béante. Sans un retour de l’argent liquide et une stabilisation politique, l’économie locale risque de s’effondrer complètement.
- Réouverture des banques : Une condition essentielle pour relancer l’économie, mais qui dépend des négociations entre la RDC et le M23.
- Adoption des paiements numériques : Une transition vers des solutions mobiles pourrait alléger la crise, mais nécessite des infrastructures et une éducation de la population.
- Soutien international : Une aide humanitaire ciblée pourrait atténuer les souffrances des habitants.
En attendant, les habitants de Goma continuent de faire preuve d’une résilience hors du commun. Ils troquent, négocient, s’adaptent. Mais comme me l’a confié un commerçant local, « on ne peut pas survivre éternellement en courant après des bidons d’huile ». La ville attend des solutions concrètes, et vite.
Ce qui m’a marqué, en explorant cette crise, c’est la capacité des Congolais à transformer les contraintes en opportunités. Mais jusqu’où cette débrouillardise peut-elle les mener ? Sans un retour à la normale, Goma risque de devenir le symbole d’une économie asphyxiée par la guerre.
