Il y a des nouvelles qui vous tombent dessus comme une masse. Vous êtes là, tranquille, à siroter votre café, et puis boum : un octogénaire tue sa femme avec un fusil de chasse avant de tenter de se suicider. C’est arrivé jeudi 27 novembre à Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis. Et franchement, ça laisse un goût amer.
Un coup de feu qui résonne encore dans la tour
Imaginez une tour comme il y en a des centaines en banlieue parisienne. 11e étage. Un couple qui vit là depuis 53 ans. Thérèse, 89 ans, et Gérard, 82 ans. Des retraités discrets, polis, qui disent bonjour dans l’ascenseur. Et puis, un matin d’automne, un seul coup de feu. Puis un second, maladroit, tourné contre soi.
Lorsque les pompiers arrivent, Thérèse est déjà partie. Gérard, lui, est entre la vie et la mort. Pronostic vital engagé. Transféré en urgence. Aujourd’hui, il est toujours hospitalisé, mais son état s’est stabilisé. Et c’est là que l’histoire prend un tour encore plus sombre.
Hospitalisation d’office : le parquet a tranché
Samedi 29 novembre, le parquet de Bobigny a annoncé qu’un médecin avait examiné l’octogénaire. Verdict sans appel : l’homme n’était pas en possession de tous ses moyens au moment des faits. Résultat ? Une demande d’hospitalisation d’office en unité psychiatrique a été déposée immédiatement.
« Le médecin qui l’a examiné a estimé qu’il y avait nécessité de l’interner en psychiatrie »
Communiqué du parquet de Bobigny
En clair : pour l’instant, Gérard ne rentrera pas chez lui. Et peut-être jamais en prison non plus. Tout va dépendre des expertises psychiatriques à venir. Si son discernement était aboli, il échappera à tout procès. Si seulement altéré, il pourra être jugé, mais avec une responsabilité pénale réduite.
Mais pourquoi ? L’éternelle question sans réponse
C’est là que ça coince. Personne ne comprend. Les voisins ? Bouleversés. « Ils étaient ensemble depuis toujours, ils ne se quittaient jamais », raconte une habitante rencontrée dans le hall. Pas de disputes connues. Pas de violences antérieures signalées. Rien.
Alors on cherche. On fouille. On interroge les enfants (ils n’ont pas souhaité s’exprimer). On regarde les antécédents médicaux. Et là, deux hypothèses s’affrontent déjà dans les conversations de couloir.
- La thèse du « crime du désespoir » : maladie dégénérative, dépendance lourde, peur de l’EHPAD, sentiment d’être un poids…
- La thèse du féminicide : même âgés, même malades, même « gentils », certains hommes estiment encore pouvoir disposer de la vie de leur femme.
Et vous, vous en pensez quoi ? Parce que moi, je trouve ça terrifiant de voir ces deux lectures s’opposer aussi violemment.
Les féminicides chez les plus de 70 ans : un tabou qui explose
On croit toujours que la violence conjugale s’arrête avec l’âge. Grave erreur. Les chiffres sont édifiants :
- 25 % des féminicides en France concernent des femmes de plus de 60 ans
- Plus de 50 % des femmes de plus de 70 ans tuées le sont « en raison d’une maladie ou de la vieillesse »
- Dans 75 % des cas, l’auteur tente ou réussit son suicide juste après
Autrement dit, le schéma est presque toujours le même : un couple très vieux couple, une santé qui décline, un homme qui « ne supporte pas » de voir sa femme souffrir ou devenir dépendante… et qui décide de « les libérer » tous les deux. Sauf qu’elle, elle n’avait rien demandé.
Et c’est bien là que le terme féminicide prend tout son sens. Parce que même à 89 ans, une femme n’appartient pas à son mari. Même si elle est malade. Même si « c’était par amour ».
« Ce ne sont pas des gestes d’amour. Ce sont des gestes de propriété. »
Une militante associative que j’ai rencontrée il y a quelques années
Et maintenant ? L’enquête qui va tout changer (ou pas)
L’enquête est confiée à la police judiciaire. Qualification retenue : meurtre sur conjoint. Peine maximale ? La perpétuité. Mais dans les faits, avec l’âge et l’état psychiatrique, on sait tous comment ça risque de finir.
Les experts vont se succéder. Alzheimer ? Démence à corps de Lewy ? Dépression sévère ? Trouble délirant ? Chaque diagnostic pèsera lourd dans la balance. Et pendant ce temps, dans la tour, les voisins pleurent une dame qui faisait des gâteaux pour Noël et un monsieur qui réparait les vélos des enfants de l’immeuble.
C’est ça le plus dur, peut-être. Cette banalité du mal. Ce couple qui ressemblait à tous les autres couples de vieux. Et qui, un matin, bascule dans l’horreur absolue.
Ce que ce drame nous dit de notre société
Derrière l’histoire individuelle, il y a tout un système qui craque. Le manque criant de places en psychiatrie gériatrique. L’accompagnement à domicile insuffisant. La solitude des aidants familiaux (parce que oui, à 82 ans, on peut encore être « aidant » de sa femme de 89 ans). La peur panique de la maison de retraite.
Et surtout, cette idée persistante, chez certains hommes de cette génération, qu’ils ont le droit de vie ou de mort sur « leur » femme. Comme si 60 ans de mariage donnaient une forme de propriété définitive.
Moi, ce qui me glace, c’est de me dire que ça pourrait arriver à n’importe quel couple de grands-parents qu’on croise dans la rue. Ceux qui se tiennent la main au marché. Ceux qui regardent Questions pour un champion tous les soirs. Rien ne les distingue. Jusqu’au jour où…
Je ne sais pas vous, mais moi, cette histoire me hante. Parce qu’elle nous renvoie à nos propres peurs sur la vieillesse, sur la dépendance, sur ce qu’on est prêt à faire « par amour ». Et surtout, elle nous rappelle que la violence contre les femmes n’a pas d’âge. Elle frappe à 20 ans comme à 89 ans.
Alors oui, Gérard est peut-être malade. Oui, il souffre peut-être énormément. Mais Thérèse ? Elle, elle est morte. Et personne ne lui a demandé son avis.
Repose en paix, Thérèse. Et espérons que ton histoire, au moins, serve à ouvrir les yeux sur ces drames qu’on préfère oublier.
