Imaginez que vous veniez enfin d’obtenir justice après des années de combat. Votre agresseur est condamné. Vous devriez pouvoir respirer. Et puis vous apprenez que des élus de votre ville, ceux-là mêmes qui se disent défenseurs des droits des femmes, étaient dans la salle… mais pas de votre côté.
C’est ce qu’a vécu Mélissandre, 33 ans, enseignante et ancienne militante. Et elle a décidé que le silence, ça suffisait.
Quand la solidarité politique devient complice
Juillet 2016. Deux soirées qui ont tout brisé. Mélissandre est violée à deux reprises par un homme qu’elle connaissait dans le milieu militant de gauche du Val-de-Marne. Le même individu agresse une autre jeune femme. Huit ans plus tard, début novembre 2025, la cour d’assises de Créteil le condamne à cinq ans de prison, dont deux ferme. Pas d’appel. La peine est définitive.
On pourrait croire l’histoire terminée. Sauf que non.
Pendant le procès, Mélissandre voit des visages qu’elle connaît bien dans le public. Des élus municipaux d’Ivry-sur-Seine. Des gens qu’elle a croisés en réunion, en manifestation, en fête de l’Huma. Ils ne sont pas venus pour elle. Ils sont venus soutenir l’accusé.
« C’est un crachat à la figure »
Mélissandre, dans sa lettre ouverte au maire
Une lettre qui a tout fait exploser
Dès la condamnation prononcée, Mélissandre rédige une lettre ouverte. Pas une plainte déposée dans le vide. Un texte public, adressé directement au maire de la commune. Elle y raconte tout : les viols, la procédure interminable, et surtout ce sentiment de trahison absolue quand elle a vu ces élus prendre place derrière son agresseur.
Le texte circule d’abord en interne. Puis il fuite. En quelques jours, c’est la tempête au conseil municipal.
Des adjoints claquent la porte. Des élus de la majorité se désolidarisent publiquement. D’autres tentent de minimiser. À cinq mois des municipales, la liste conduite par le maire sortant vacille sérieusement.
La « culture du viol » dans les rangs militants
Ce qui rend l’affaire particulièrement glaçante, c’est le contexte. On parle d’une ville historiquement à gauche, dirigée depuis des décennies par le même parti. Un parti qui a toujours affiché son engagement féministe, qui organise des marches contre les violences sexuelles, qui vote des motions magnifiques.
Et pourtant.
Quand il s’agit d’un « camarade », certains semblent oublier tout ça. Le réflexe de protection du groupe prend le dessus. On minimise. On parle de « dérapage ». On rappelle les « bons souvenirs » avec l’accusé. On évite de le nommer violeur, même après la condamnation.
Mélissandre, elle, a un mot pour ça : la culture du viol version militante.
- Refus de voir la réalité en face quand l’agresseur fait partie du « nous »
- Priorité donnée à l’image du collectif plutôt qu’à la sécurité des femmes
- Tendance à discréditer la parole des victimes quand elle met en danger l’unité
- Silence assourdissant des instances internes face aux signalements
Et elle n’est malheureusement pas la seule à en avoir fait l’expérience.
Des précédents qui font froid dans le dos
Ces dernières années, plusieurs affaires ont éclaboussé la gauche française sur ces questions. Des élus condamnés pour violences conjugales qui gardent leur mandat. Des responsables de jeunesse mis en cause pour agressions sexuelles, protégés pendant des mois. Des plaintes classées parce que « ça risquerait de faire perdre la ville ».
À chaque fois, le même schéma :
- Une femme parle
- On lui demande de se taire « pour le bien du combat »
- On protège l’agresseur tant qu’on peut
- Quand la condamnation tombe, on fait profil bas ou on change de sujet
Ce qui change à Ivry, c’est que Mélissandre a refusé le silence. Et qu’elle a des preuves irréfutables : une condamnation définitive.
Les réactions : entre malaise et rupture
Dans les jours qui ont suivi la publication de la lettre, les positions se sont fissurées.
Certains élus ont reconnu avoir été présents au procès… « pour soutenir la famille de l’accusé ». D’autres jurent qu’ils étaient là « par hasard ». Quelques-uns ont présenté des excuses publiques, maladroites mais réelles.
Une adjointe a quitté la majorité avec fracas, déclarant qu’elle ne pouvait plus cautionner « cette hypocrisie permanente ».
« On nous demande d’être exemplaires sur tout, sauf quand il s’agit de nos copains. Là, soudain, plus rien n’a d’importance. »
Le maire, lui, reste étrangement discret. Une courte déclaration pour dire qu’il « prend la mesure de la douleur » de la victime. Mais aucune sanction interne annoncée. Aucun élu mis à l’écart.
Pourquoi cette affaire dépasse largement Ivry
Ce qui se joue ici, c’est bien plus qu’une crise municipale locale.
C’est la question de savoir si les partis politiques, tous bords confondus, sont capables de faire le ménage en leur sein quand il s’agit de violences sexuelles. Si la lutte contre le patriarcat s’arrête vraiment aux portes des permanences.
J’ai suivi pas mal d’affaires de ce genre ces dernières années. Et à chaque fois, je me pose la même question : combien de femmes ont abandonné le militantisme politique parce qu’elles y ont été agressées ou réduites au silence ? Combien ont vu leur parole écrasée au nom de la « raison politique » ?
À Ivry, Mélissandre a décidé que ça s’arrêterait là.
Sa lettre n’est pas seulement un cri de colère. C’est un acte politique fort. Elle oblige tout le monde à choisir son camp : soit on est du côté des victimes, soit on continue à protéger les agresseurs quand ils sont des « camarades ».
Et il n’y a pas de troisième option.
Depuis la publication de son texte, Mélissandre reçoit des messages de soutien, mais aussi des insultes. Des menaces, même. Elle a porté plainte pour certaines.
Mais elle ne regrette rien.
« J’ai mis sept ans à obtenir justice pénale. Je ne vais pas attendre encore dix ans pour qu’on arrête de protéger les violeurs dans les rangs politiques. »
À quelques mois des élections municipales, son histoire pourrait bien peser lourd dans les urnes. Et peut-être, enfin, faire bouger les lignes.
Parce qu’au fond, la question est simple : veut-on des villes dirigées par des gens qui soutiennent les violeurs, ou par ceux qui croient vraiment la parole des victimes ?
À Ivry-sur-Seine, la réponse est en train de s’écrire. Et elle pourrait faire jurisprudence.
