Il y a des histoires qui vous prennent aux tripes dès le premier mot. Celle-ci en fait partie. Imaginez : une gamine de 18 ans qui sort s’amuser un samedi soir, et un mec de 27 ans, connu dans toute une ville grâce à ses arrêts décisifs sous les couleurs locales, qui croise sa route. Quelques heures plus tard, tout bascule. Elle répétera plus tard, la voix brisée : « Je lui ai dit non plusieurs fois. » Lui niera farouchement. Six ans après, l’affaire arrive enfin devant la cour criminelle.
Une nuit qui a tout fait basculer
On est le 15 décembre 2019. Nancy dort sous un froid humide typique de l’hiver lorrain. Dans une boîte de nuit du centre-ville, la musique cogne encore à 5 heures du matin. Une jeune femme de 18 ans, étudiante, passe la soirée avec des copines. Elle n’est pas du genre à faire la fermeture tous les week-ends, mais ce soir-là, elle a envie de décompresser. À quelques mètres, un groupe d’hommes un peu plus âgés. Parmi eux, Baptiste Valette, gardien titulaire de l’AS Nancy-Lorraine, 27 ans, 1m85, le genre de physique qui ne passe pas inaperçu.
Les versions divergent déjà sur la façon dont ils se sont retrouvés ensemble dehors. Ce qui est sûr, c’est qu’à un moment, ils se parlent. Peut-être un sourire, un verre proposé, quelques mots échangés dans le brouhaha. Puis la sortie. L’air glacé. Et ensuite… le vide pour elle, le déni pour lui.
Ce qu’elle raconte, ce qu’il conteste
Selon ses déclarations, reprises dans le dossier, elle accepte de le suivre un court instant pour discuter tranquillement, loin du bruit. Très vite, il devient insistant. Elle refuse. Il insiste encore. Elle dit non, clairement, à plusieurs reprises. Il la plaque contre un mur, dans une rue adjacente. Elle se débat comme elle peut. Il est bien plus fort. L’acte aurait duré quelques minutes seulement, mais elles ont suffi à tout détruire.
« Je lui ai dit non plusieurs fois. J’étais tétanisée. Je n’arrivais plus à bouger. »
– La victime, lors de sa première audition
Lui jure qu’il n’y a eu aucun contrainte. Qu’elle était d’accord, qu’ils étaient tous les deux éméchés, que c’était une relation consentie, rapide, dans le feu de l’alcool et de la nuit. Il parle d’un malentendu tragique. Elle parle d’un viol.
L’arrestation express et le choc dans le foot lorrain
Dès le dimanche matin, la jeune femme porte plainte. Les policiers agissent vite : Baptiste Valette est interpellé chez lui quelques heures plus tard, encore en train de cuver. Placement en garde à vue, perquisition, prélèvements ADN. Le club, alors en pleine galère sportive en Ligue 2, tombe des nues. Les supporters aussi. Sur les forums, c’est la stupeur : « Pas lui, pas Baptiste, c’est un mec tranquille. »
Le président de l’époque choisit la ligne dure : mise à pied immédiate, puis rupture de contrat quelques mois plus tard. Le gardien disparaît des radars professionnels pendant un temps. Il rebondira plus tard en National 2, loin des projecteurs.
Six ans d’instruction : pourquoi ça a pris autant de temps ?
Beaucoup se posent la question, et franchement, elle est légitime. Entre 2019 et 2025, le dossier a dormi. Confrontations, expertises psychiatriques, analyses téléphoniques, témoignages des videurs et des amis présents ce soir-là… Tout a été épluché dans le moindre détail.
- 2020 : premières expertises médicales qui confirment des lésions compatibles avec une pénétration non consentie
- 2021 : expertise psychologique de la plaignante – syndrome de stress post-traumatique avéré
- 2022 : contre-expertise demandée par la défense
- 2023-2024 : attente de places devant la cour criminelle (surcharge des tribunaux)
- Novembre 2025 : enfin, le procès
Ces lenteurs, on les retrouve malheureusement dans beaucoup trop d’affaires de viol. Et pendant ce temps, la victime, elle, doit vivre avec.
Le consentement au cœur du débat
L’enjeu central, c’est évidemment la question du consentement. Depuis la loi de 2018, le Code pénal est clair : tout acte sexuel sans consentement libre et éclairé est un viol. L’alcool ? Il n’efface pas le non. La notoriété ? Elle ne donne aucun passe-droit. La force physique ? Elle peut caractériser l’aggravation.
J’ai suivi pas mal d’affaires de ce type ces dernières années, et celle-ci a un goût particulièrement amer. Parce qu’on touche à un sportif que tout le monde pensait « propre sur lui ». Parce que la victime était particulièrement jeune. Parce que l’alcool, encore et toujours, vient brouiller les cartes et servir d’excuse commode à certains.
Le foot français et ses démons
Cette affaire n’arrive pas dans le vide. Le football professionnel traîne depuis longtemps une culture de la nuit parfois toxique. On se souvient des soirées arrosées après les matchs, des « troisième mi-temps » qui dérapent, de cette idée tenace que le statut de joueur ouvre toutes les portes – y compris celles qu’on devrait laisser fermées.
Ces dernières années, plusieurs joueurs ou ex-joueurs ont été rattrapés par la justice pour des faits similaires. Ça commence à faire beaucoup. Et chaque fois, on entend la même rengaine : « C’est un bon gars », « il a trop bu », « elle exagère ». Comme si le palmarès ou la popularité pouvaient effacer la gravité des faits.
« Le maillot ne protège de rien. Ni des conneries, ni de la justice. »
– Un éducateur de centre de formation, sous couvert d’anonymat
Ce que risque Baptiste Valette aujourd’hui
Le viol aggravé (par la différence d’âge importante et l’état d’ébriété de la victime) est passible de 20 ans de réclusion criminelle. À 33 ans aujourd’hui, il joue toujours, en National 2, sous contrat fédéral. S’il est condamné, sa carrière est terminée, c’est évident. Mais au-delà, c’est toute une vie qui s’effondre.
La défense, elle, mise tout sur le doute. Sur l’absence de témoins directs. Sur les messages ambigus échangés avant la sortie de boîte. Sur le taux d’alcoolémie des deux. Stratégie classique, parfois payante.
Et la victime dans tout ça ?
Elle a 24 ans aujourd’hui. Six ans de thérapie. Des études interrompues. Des crises d’angoisse dès qu’elle passe devant une boîte de nuit. Elle a accepté de témoigner à visage découvert dans certains médias, chose rare et courageuse. Elle dit vouloir « que ça serve à d’autres ». Qu’on comprenne qu’un non reste un non, même à 5 heures du matin, même après trois verres, même si le mec en face est « connu ».
Franchement, quand on lit son parcours depuis cette nuit-là, on se dit que la justice, aussi nécessaire soit-elle, arrive souvent trop tard pour réparer vraiment.
Un procès sous tension
Le procès, qui s’ouvre ce lundi à Nancy, durera plusieurs jours. La salle sera pleine. Des supporters de l’ASNL ont déjà annoncé qu’ils viendraient… soutenir l’ex-gardien. D’autres, au contraire, veulent montrer leur solidarité avec la victime. L’ambiance risque d’être électrique.
On attend des témoignages cruciaux : les amis présents, le videur qui les a vus sortir ensemble, les experts. Chaque mot sera pesé. Chaque silence aussi.
Peu importe le verdict final – et je ne vais pas jouer aux devins –, cette affaire laissera des traces. Dans le foot lorrain, évidemment. Mais surtout dans la vie de deux personnes que tout opposait cette nuit-là, et que tout oppose encore aujourd’hui.
Parce qu’au fond, derrière les maillots, les projecteurs et les réseaux sociaux, il y a des vies brisées. Et parfois, un simple « non » qu’on n’a pas voulu entendre.
(Article mis à jour au fur et à mesure du déroulé du procès)
