Vous vous souvenez quand on allait au foot du dimanche pour voir des potes transpirer et boire une bière après le match ? Moi oui. Et puis il y a des jours où on se dit que même ça, c’est devenu dangereux. Hier, à Orly, un match de district qui sentait bon le foot de quartier a fini en scène de guerre. Cinq blessés, dont trois dans un état sérieux. Et tout ça pour un ballon qui franchit la ligne à la 85e minute.
Quand le score de 3-2 déclenche l’apocalypse
Le décor est classique : stade Jean-Mermoz, pelouse fatiguée, tribune en béton avec une centaine de spectateurs. Orly reçoit Val-de-Fontenay en championnat départemental du Val-de-Marne. Rien que du très banal. Le match est accroché, tendu mais correct, 2-2 à dix minutes de la fin. Et puis ce but. Un contre rapide, le numéro 9 visiteur qui lobe le gardien. 3-2. Les joueurs de Fontenay exultent, normal. Ce qui l’est moins, c’est ce qui suit.
En quelques secondes, une partie du public local – une cinquantaine de personnes selon les témoins – franchit les grilles et déboule sur la pelouse. Coups de pied, coups de poing, bouteilles qui volent. Les joueurs de Val-de-Fontenay se retrouvent encerclés. L’arbitre court se réfugier dans les vestiaires. Le match, évidemment, ne reprendra jamais.
« Même au foot, t’es pas sûr de rentrer chez toi », m’a lâché un père de famille présent ce jour-là, la voix encore tremblante.
Cette phrase, elle résume tout. Elle fait mal parce qu’elle est vraie.
Le bilan fait peur
On parle de cinq personnes transportées à l’hôpital. Trois dans un état grave : fractures, traumatisme crânien, plaies importantes. Parmi les victimes, des joueurs, mais aussi des spectateurs qui ont voulu s’interposer. Il y a même un gamin de 15 ans qui a pris un mauvais coup en essayant de protéger son grand frère.
Et pendant ce temps-là, les réseaux sociaux s’enflamment. Vidéos amateurs, commentaires haineux, menaces. Le genre de spirale qu’on connaît trop bien et qui rend la situation encore plus explosive pour les semaines à venir.
Le foot amateur, ce miroir déformant de la société
Je couvre le foot de quartier depuis plus de dix ans. J’ai vu des ambiances incroyables, des derbys où on se chamaille gentiment, des présidents qui offrent le pot après le match quel que soit le score. Mais j’ai aussi vu la montée progressive de cette violence sourde.
Ce n’est pas nouveau, hélas. On se souvient tous de l’arbitre frappé à mort en 2018 dans l’Essonne, ou des bagarres récurrentes à Créteil, Vitry, Athis-Mons… Mais là, on a l’impression que ça s’accélère. Que la cocotte-minute est en train d’exploser.
- Manque criant d’arbitres (beaucoup abandonnent à cause des insultes et menaces)
- Parents ou « supporters » qui vivent le match de leur gamin de 30 ans comme une finale de Coupe du monde
- Alcool parfois, ego toujours
- Absence de vrais dispositifs de sécurité sur des stades de district
- Sentiment d’impunité totale
Et puis il y a ce truc qu’on n’ose pas trop dire : la fracture sociale. Dans certains quartiers, le foot reste le seul exutoire, le seul endroit où on se sent exister. Quand la frustration explose, c’est là que ça sort. Pas une excuse, juste une réalité.
Le district promet des sanctions lourdes… mais jusqu’où ?
Le district du Val-de-Marne a réagi dans la soirée : commission de discipline extraordinaire convoquée, suspensions provisoires, menace d’exclusion définitive du club fautif. On parle même de retrait de points qui condamnerait Orly à la descente.
Mais soyons honnêtes : combien de fois a-t-on entendu ça ? Les sanctions pleuvent, puis on passe à autre chose jusqu’au prochain drame. Le vrai problème, c’est que les clubs amateurs n’ont ni les moyens humains ni financiers pour encadrer correctement leurs supporters. Un stadier bénévole face à 50 excités, bon courage.
« On ne peut plus accepter ça. Il faut des mesures radicales : huis clos systématique, interdictions de déplacement, voire dissolution de clubs si nécessaire. »
Un dirigeant de district, sous couvert d’anonymat
Radical, oui. Mais est-ce que ça suffira ?
Et les joueurs dans tout ça ?
Ce qu’on oublie souvent, c’est eux. Ces gars qui bossent toute la semaine, qui payent leur licence 200 € par an, qui prennent sur leur dimanche pour jouer au foot. Hier soir, certains rentraient chez eux en pleurant. Pas à cause de la défaite, mais parce qu’ils ont eu peur pour leur vie.
Un joueur de Val-de-Fontenay m’a écrit : « J’ai 34 ans, deux enfants. Je joue pour le dimanche pour décompresser. Là, je me demande si je vais revenir. » Cette phrase-là, elle pèse plus lourd que tous les communiqués officiels.
Que faire concrètement ? Quelques pistes (pas miracles)
Il n’y a pas de solution magique, mais on peut au moins essayer :
- Former massivement les dirigeants et éducateurs à la gestion de conflit
- Instaurer des « référents supporters » dans chaque club avec vrai pouvoir
- Rendre obligatoire la présence policière ou municipale sur les matchs à risque
- Créer un fichier national des interdits de stade, même en amateur
- Et surtout, éduquer dès le plus jeune âge : respect de l’arbitre, de l’adversaire, du public
Ça coûte de l’argent ? Oui. Mais ça coûte moins cher que des ambulances et des vies brisées.
Un sport qui se tire une balle dans le pied
Le pire dans tout ça ? C’est que le foot amateur, c’est 2 millions de licenciés en France. C’est le ciment de milliers de communes. C’est là qu’on apprend la vie collective, le respect, la défaite. Quand ça part en vrille à ce point, c’est tout un modèle qui s’effondre.
Hier à Orly, ce n’était pas « le foot » qui a perdu. C’est nous tous.
Alors oui, on va sanctionner. Oui, on va condamner. Mais si on ne s’attaque pas aux causes profondes – frustration sociale, absence d’éducation, impunité – dans six mois, ce sera ailleurs. Peut-être près de chez vous.
Parce qu’au final, le vrai scandale, ce n’est pas qu’un match ait dégénéré. C’est qu’on soit surpris que ça arrive encore.
Et vous, vous en pensez quoi ? Vous avez déjà vu ou vécu ce genre de scènes sur un terrain de district ? Les commentaires sont ouverts. Mais par pitié, restez corrects. On a assez de violence sur les terrains, gardons un peu de civilité ici.
