Il y a des silences qui pèsent plus lourd que des mots. Et puis, il y a ces moments où le corps, enfin, accepte de parler à nouveau. J’ai récemment assisté à quelque chose qui m’a profondément marqué : un petit groupe de personnes, toutes marquées par des violences sexuelles subies dans le cadre du sport, plongées dans une eau tiède, en train de réapprendre à habiter leur propre peau.
Ce n’était pas une séance classique de rééducation. C’était autre chose. Quelque chose de plus profond, de plus intime. L’eau semblait presque effacer les frontières entre les corps abîmés et le monde extérieur. Et pourtant, c’est bien là, dans ce bassin, que certaines disaient retrouver, pour la première fois depuis longtemps, un sentiment de sécurité.
Quand l’eau devient un refuge après le traumatisme
L’idée peut paraître simple, presque trop évidente : proposer de la balnéothérapie à des personnes ayant subi des violences. Et pourtant, elle change tout. L’eau porte. Elle enveloppe. Elle ne juge pas. Elle ne touche que si on l’autorise. Pour beaucoup de survivantes, c’est la première fois depuis des années qu’un contact physique n’est plus synonyme de menace.
Je me souviens d’une femme qui, les yeux fermés, laissait enfin ses bras flotter à la surface. « C’est la première fois que je me sens légère », a-t-elle murmuré. Légère. Le mot est resté suspendu dans l’air humide de la piscine, comme une évidence qu’on n’osait plus espérer.
Le corps, ce grand oublié de la reconstruction
On parle beaucoup de la libération de la parole – et c’est essentiel. Mais le corps, lui ? Il reste souvent prisonnier. Les gestes se figent. Les muscles se crispent en permanence. Certains endroits du corps deviennent inaccessibles, même à soi-même. Le trauma s’y est installé comme un locataire indélogeable.
Le sport, quand il est bien accompagné, peut devenir une clé. Pas n’importe quel sport. Pas celui qui rappelle le lieu du drame. Mais un sport doux, choisi, consenti. Un sport où l’on retrouve le contrôle de son corps sans avoir à le forcer.
« Le corps garde la mémoire de tout. Il faut lui réapprendre la confiance, doucement. »
– Une ancienne championne, aujourd’hui accompagnatrice
La balnéothérapie : plus qu’une séance dans l’eau
Dans les ateliers dont je vous parle, il n’y a pas de performance. Pas de chrono. Pas de regard extérieur pesant. Il y a juste des corps qui réapprennent à bouger librement. Des exercices simples : marcher dans l’eau, laisser ses bras flotter, tourner lentement sur soi-même.
Et pourtant, ces gestes minuscules sont gigantesques. Parce qu’ils se font sans peur. Parce qu’ils se font à son rythme. Parce que l’eau amortit tout – les chocs, les souvenirs, les tremblements.
- Retrouver la sensation d’être porté sans être retenu
- Réhabituer son corps à des mouvements libres
- Redécouvrir des parties de soi qu’on avait appris à ignorer
- Accepter à nouveau d’être vu, même partiellement
- Goûter à la légèreté, parfois pour la première fois depuis l’enfance
Ces ateliers ne sont pas réservés à un sport en particulier. On y croise d’anciennes patineuses, des ex-tennismen, des victimes de différents horizons sportifs. Ce qui les réunit ? Le même besoin de réconciliation avec leur corps.
Des figures emblématiques montrent la voie
Certaines ont décidé de ne plus se taire. Elles sont devenues des porte-voix. Et aujourd’hui, elles vont plus loin : elles accompagnent d’autres survivantes sur le chemin de la reconstruction. Leur présence dans ces bassins n’est pas anodine. Elle dit : « Moi aussi, j’y suis passée. Moi aussi, je comprends. »
Il y a quelque chose d’extrêmement puissant à voir une femme qui a brisé le silence il y a quelques années, flottait aujourd’hui dans l’eau avec une sérénité presque palpable. Comme si elle avait enfin fermé une porte. Pas oublié – non, ça, c’est impossible – mais apaisé.
Le sport comme outil de résilience : les initiatives qui se multiplient
Depuis quelques années, les initiatives se multiplient. Des associations proposent du karaté adapté aux femmes victimes de violences. D’autres misent sur la danse, le yoga, la marche en pleine nature. L’idée est toujours la même : redonner le pouvoir sur son corps.
Dans certains clubs, on forme désormais les entraîneurs à repérer les signes. On crée des espaces sécurisés. On parle enfin de consentement, de limites, de respect. C’est lent. C’est insuffisant encore. Mais c’est en marche.
« Le sport m’a volé quelque chose. Aujourd’hui, c’est le sport qui me le rend. »
Pourquoi l’eau, plus que tout autre élément ?
L’eau a cette particularité unique : elle soutient sans contraindre. Elle permet de bouger sans impact. Elle efface temporairement la gravité – et avec elle, parfois, le poids des souvenirs. Pour beaucoup de survivantes, c’est le premier environnement où le corps accepte de se détendre complètement.
Les thérapeutes qui accompagnent ces ateliers le disent souvent : les progrès sont plus rapides dans l’eau. Les larmes coulent plus facilement aussi. L’eau les accueille sans les juger. Elle les porte, littéralement.
Et puis il y a ce côté presque symbolique : on entre dans l’eau comme on entre dans une nouvelle vie. On s’y lave – pas seulement la peau, mais quelque chose de plus profond. On y renaît, un peu.
Un chemin long, mais possible
Personne ne prétend que quelques séances suffisent. Le trauma est tenace. Il revient parfois la nuit. Il se cache dans un geste anodin, un parfum, une musique. Mais ces moments dans l’eau, ces instants de légèreté retrouvée, sont comme des balises. Ils prouvent que c’est possible. Que le corps peut se rappeler qu’il peut aussi être un allié.
Ce qui m’a le plus frappé, c’est le sourire de certaines à la fin de la séance. Pas un sourire forcé. Un vrai. Celui de quelqu’un qui vient de retrouver une petite partie de soi, longtemps perdue.
Le chemin est encore long pour beaucoup. Mais il existe. Et aujourd’hui, il passe aussi par des bassins tranquilles où des corps abîmés réapprennent, doucement, à flotter.
Si vous ou une personne de votre entourage a subi des violences, sachez que des ressources existent. Parler, c’est déjà commencer à guérir. Et parfois, bouger dans l’eau peut être le premier pas vers la reconquête de soi.
Le sport a trop longtemps été un lieu de silence. Il devient, petit à petit, un lieu de reconstruction. Et ça, franchement, ça vaut tous les médailles du monde.
