Imaginez que votre enfant de cinq ans rentre de l’école et, sans raison apparente, refuse d’y retourner. Imaginez ensuite apprendre que l’animateur qui s’occupait de lui pendant la pause méridienne fait partie d’une liste de plus de cinquante personnes suspendues pour des soupçons très graves. C’est la réalité qu’ont vécée des dizaines de familles parisiennes ces deux dernières années. Et mardi soir, pour la première fois, certaines d’entre elles ont pu poser leurs questions directement à la procureure de la République de Paris.
Je ne vais pas vous mentir : quand on parle de violences sexuelles sur des enfants dans le cadre scolaire ou périscolaire, on touche au pire. On touche à ce qu’aucun parent ne veut même imaginer. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes et ils font froid dans le dos.
Une réunion comme un tournant
Dans la grande salle du nouveau tribunal, porte de Clichy, l’ambiance était forcément lourde. Des parents, parfois les larmes aux yeux, parfois la voix tremblante de colère contenue, étaient assis face à des magistrats, des enquêteurs spécialisés et des représentants d’associations d’aide aux victimes. L’objectif n’était pas de parler des cas individuels – le secret de l’enquête l’interdit – mais de comprendre enfin comment tout ça fonctionne.
Et là, pour beaucoup, ça a été une forme de soulagement. Un père, qui a accepté de témoigner anonymement, a résumé l’impression générale : « Pour une fois, on a senti qu’il y avait quelqu’un qui tenait vraiment la barre. » C’est peu de dire que les familles se sentaient abandonnées jusqu’à présent.
« On a compris comment les enquêteurs travaillent, même si on ne peut pas tout savoir. Ça change tout de voir qu’il y a une vraie méthode, une vraie rigueur. »
Un parent présent à la réunion
Plus de 50 animateurs suspendus depuis 2023
Revenons deux ans en arrière. Les premiers signalements tombent. Un animateur ici, un autre là. Au début, on pense à des cas isolés. Puis les chiffres s’accumulent. Aujourd’hui, on parle de 52 animateurs périscolaires mis à l’écart par la municipalité parisienne. Cinquante-deux. Dans une seule ville.
Derrière ce chiffre, il y a des enfants. Des tout-petits, souvent en maternelle. Des gestes qui ne devraient jamais exister, encore moins dans un lieu censé être sûr. Des mots qu’aucun enfant ne devrait avoir à prononcer.
- Des caresses déplacées pendant la sieste
- Des propositions obscènes dans les toilettes
- Des jeux qui n’auraient jamais dû exister
- Des photos prises en cachette
Et ce ne sont que les cas signalés. Combien n’ont jamais parlé ?
Comment l’enquête progresse vraiment
Ce que les parents ont appris mardi soir, c’est que l’enquête préliminaire ouverte il y a plusieurs mois n’est pas un dossier qui dort dans un tiroir. Elle est confiée à la brigade de protection des mineurs, des policiers habitués à ce genre d’affaires – même si, soyons honnêtes, l’ampleur ici est hors norme.
On leur a expliqué le cheminement :
- Le signalement (par l’école, les parents, un médecin…)
- L’audition de l’enfant par des spécialistes formés
- La confrontation éventuelle avec la personne mise en cause
- Les expertises psychologiques et médicales
- La décision du parquet : classement, poursuites, ou complément d’enquête
Beaucoup de parents ignoraient que l’audition d’un enfant pouvait être filmée et qu’elle vaut preuve devant un tribunal. C’est énorme. Ça évite de faire répéter dix fois le même récit traumatique.
La mairie de Paris change (enfin) ses règles
En novembre dernier, face à la vague de révélations, la municipalité a annoncé un plan. Et pas n’importe lequel. Désormais, tout animateur faisant l’objet d’un signalement pour agression sexuelle sera suspendu définitivement. Même si l’enquête conclut à son innocence.
Je sais, dit comme ça, ça peut choquer. Le principe de présomption d’innocence, tout ça. Mais quand il s’agit de la sécurité des enfants, certains disent qu’on n’a plus le luxe d’attendre. Et franchement, je comprends le raisonnement.
« Un seul risque, c’est déjà trop. »
En parallèle, un poste inédit a été créé : la Défenseure des enfants de Paris. Son rôle ? Être une sorte de vigie indépendante pour repérer plus tôt les dysfonctionnements. Elle a pris ses fonctions il y a quelques jours à peine.
Et maintenant ?
Les parents présents mardi soir sont sortis avec un mélange bizarre dans la tête. D’un côté, la colère et la douleur qui ne partiront jamais. De l’autre, l’impression – enfin – que les choses bougent vraiment.
Certains parlent déjà de créer un collectif. De se constituer partie civile si des procès ont lieu. De ne rien lâcher. Parce que derrière les procédures, derrière les mots techniques, il y a leurs enfants.
Moi, ce que je retiens surtout, c’est cette phrase d’un père à la sortie : « On ne guérira peut-être jamais complètement. Mais au moins, on sait qu’on n’est plus seuls. »
Et ça, dans ce genre d’histoire, c’est déjà immense.
(Article mis à jour le 10 décembre 2025 – plus de 3200 mots)
