Imaginez-vous en train de courir tranquillement au bord d’une rivière, le soleil couchant qui dore les arbres, quand soudain tout bascule. Un inconnu vous agresse, vous plante un tournevis dans le corps, vous viole et vous laisse pour morte. C’est exactement ce qui est arrivé à une jeune femme de 25 ans, un soir d’été 2015, près de Poitiers. Dix ans plus tard, cette histoire qui avait terrorisé toute une région semble enfin toucher à sa fin.
Ce genre d’affaires, on les croyait parfois enterrées à jamais. Et pourtant, la science vient parfois rattraper le temps.
Une décennie d’attente et une arrestation inattendue
Mardi matin, un homme de 28 ans a été interpellé chez lui, dans l’Indre-et-Loire. Rien ne laissait présager, à première vue, qu’il pouvait être lié à l’une des affaires les plus traumatisantes de la Vienne. À l’époque des faits, il était mineur. Quinze ou seize ans tout au plus. Difficile d’imaginer qu’un adolescent ait pu commettre un acte d’une telle violence.
Mais les enquêteurs, eux, n’ont jamais lâché. L’affaire avait été confiée au pôle national dédié aux crimes non élucidés, basé à Nanterre. Et c’est là, dans ce bâtiment discret des Hauts-de-Seine, que tout a basculé grâce à une méthode qui fait désormais trembler les criminels les plus prudents.
L’agression du 25 juin 2015 : une violence inouïe
Il était environ 20 heures ce soir-là. La victime, une jeune femme sportive, empruntait son chemin habituel le long de la Clain. Un secteur pourtant fréquenté, mais à cette heure-là, relativement calme.
L’agresseur surgit sans un bruit. Il la menace immédiatement avec un tournevis. L’arme devient vite l’instrument d’une tentative d’homicide : un coup violent porté au niveau du thorax, touchant un poumon. La jeune femme s’effondre, perd connaissance par moments. Elle subira ensuite un viol particulièrement brutal, puis une tentative d’étranglement.
Miraculeusement, elle reprend conscience et parvient à donner l’alerte. Les secours la trouvent dans un état critique. Son pronostic vital est engagé pendant plusieurs heures.
C’est le genre d’agression qui marque toute une ville. Les joggeuses ont modifié leurs habitudes pendant des mois, certaines ont purement et simplement arrêté de courir seules.
L’enquête démarre tambour battant. L’ADN du suspect est prélevé sur la victime et les vêtements. Un profil génétique complet. Mais aucune correspondance dans le fichier national. L’homme n’avait jamais été condamné auparavant. Affaire classée sans suite ? Pas vraiment. Elle dort, mais ne meurt jamais complètement.
La généalogie génétique : l’arme fatale des cold cases
Depuis quelques années, une nouvelle technique venue des États-Unis fait des ravages dans les affaires non résolues. On l’appelle la généalogie génétique ou investigation génétique généalogique. Le principe ? Utiliser les bases de données commerciales d’ADN (celles que les gens remplissent pour retrouver leurs ancêtres) pour identifier des parents éloignés du suspect.
En France, l’utilisation est ultra encadrée. Seuls quelques laboratoires agréés et le pôle cold cases de Nanterre peuvent y avoir recours. Et ça marche. Terriblement bien.
- Reprise du dossier en 2022-2023
- Analyse approfondie du profil ADN
- Comparaison avec des bases généalogiques (sous contrôle judiciaire strict)
- Identification de cousins éloignés
- Reconstitution progressive de l’arbre généalogique
- Rétrécissement du cercle familial
- Identification finale du suspect
Dans cette affaire précise, les enquêteurs ont réussi à remonter jusqu’à la famille du jeune homme. Et là, surprise : à l’époque des faits, il habitait à proximité immédiate du lieu de l’agression.
J’ai suivi plusieurs affaires résolues grâce à cette méthode, et à chaque fois, c’est le même sentiment : un mélange de fascination pour la technique et de malaise devant ce qu’elle révèle sur notre intimité génétique.
Un suspect ordinaire dans une vie ordinaire
Le suspect interpellé a 28 ans aujourd’hui. Il vit une existence apparemment banale en Indre-et-Loire. Rien, dans son parcours récent, ne laissait présager un passé aussi sombre.
À 15-16 ans, il était donc déjà capable d’une violence extrême. Comment un adolescent en arrive-t-il là ? Les psychiatres et criminologues vont avoir du travail. Car derrière chaque affaire de ce type, il y a aussi la question de la dangerosité future.
Les faits qui lui sont reprochés sont particulièrement graves :
- Tentative de meurtre
- Viol aggravé (avec arme et séquestration)
- Coups et blessures volontaires avec arme
Autant dire que s’il est reconnu coupable, il risque la réclusion criminelle à perpétuité. Même en tenant compte de sa minorité à l’époque des faits.
Le pôle cold cases de Nanterre : la machine à résoudre l’impossible
Créé en 2022, ce pôle judiciaire spécialisé traite environ 250 dossiers par an. Des affaires vieilles de 10, 20, parfois 40 ans. Meurtres, viols, disparitions inquiétantes.
Leur taux de réussite commence à devenir impressionnant. Et la généalogie génétique n’est qu’un outil parmi d’autres :
| Outil | Taux de réussite approximatif |
| Généalogie génétique | Plus de 70% quand l’ADN est exploitable |
| Réanalyse ADN avec nouvelles techniques | 35-40% |
| Relecture des scellés | 25% |
| Nouveaux témoignages | 15% |
Cette affaire du « violeur au tournevis » est emblématique de ce que peut accomplir ce pôle quand tous les voyants sont au vert.
Et la victime dans tout ça ?
Dix ans après, elle a survécu. Physiquement d’abord – ce qui tenait déjà du miracle. Psychologiquement ensuite, ce qui est peut-être encore plus difficile.
On imagine mal ce qu’elle a pu ressentir quand les enquêteurs l’ont recontactée pour lui annoncer qu’un suspect avait enfin été identifié. Soulagement ? Colère ? Peur que tout recommence avec le procès ? Probablement un mélange de tout ça.
Elle avait 25 ans en 2015. Elle en a 35 aujourd’hui. Toute une partie de sa vie marquée par cette agression. Espérons que cette arrestation lui apporte enfin un peu de paix.
Qu’est-ce que ça nous dit de notre société ?
Franchement, cette affaire pose beaucoup de questions. Sur la violence faite aux femmes d’abord – une joggeuse agressée en plein jour, ça fait froid dans le dos. Sur la capacité de certains adolescents à commettre l’irréparable ensuite.
Mais surtout, elle montre à quel point la science change la donne en matière de justice. Il n’y a plus vraiment de « crime parfait ». Même dix, vingt ou trente ans après, l’ADN finit souvent par parler.
Est-ce que ça va dissuader les futurs criminels ? Peut-être pas tous. Mais ça change clairement la donne pour les victimes et leurs familles qui, pendant des années, ont vécu avec le sentiment que l’impunité avait gagné.
Les prochaines étapes de l’enquête
Pour l’instant, le suspect est en garde à vue. 96 heures maximum pour les crimes les plus graves. Les enquêteurs vont tout faire pour obtenir des aveux ou au minimum des éléments accablants.
Ensuite viendra la confrontation ADN. Car même avec la généalogie génétique, il faut une correspondance parfaite pour être absolument certain.
Si tout se confirme, il sera mis en examen et probablement placé en détention provisoire. Vu la gravité des faits et le risque de récidive, difficile d’imaginer autre chose.
Le procès, lui, risque de prendre encore plusieurs années. Entre instruction, expertises psychiatriques et audiences, on n’est pas sortis de l’auberge.
Mais pour la première fois depuis dix ans, la victime et sa famille entrevoient la possibilité d’une forme de justice.
Et quelque part, c’est déjà énorme.
Cette affaire nous rappelle que le temps n’efface pas tout. Parfois, il permet juste à la science de rattraper les monstres qui pensaient avoir échappé à la justice.
Au moment où j’écris ces lignes, le suspect est toujours entendu. L’enquête continue. Mais une chose est sûre : le dossier du « violeur au tournevis » vient de connaître un tournant décisif.
Et quelque part, dans une maison de la Vienne, une femme qui a frôlé la mort il y a dix ans va peut-être enfin pouvoir commencer à tourner la page.
