Vous souvenez-vous de l’époque où la patinoire était le royaume absolu des ados ? Ces soirées où la musique résonnait, où l’on tournoyait pendant des heures en rêvant de figures acrobatiques… Et puis, parfois, derrière les sourires et les projecteurs, il y avait autre chose. Quelque chose de beaucoup plus sombre. Vingt ans plus tard, certaines victimes osent enfin parler. Et la justice, elle, rattrape le temps perdu.
Un deuxième procès qui fait trembler la glace d’Asnières
Ce mardi 9 décembre, un homme de 39 ans s’assoit sur le banc des accusés devant la cour d’assises des mineurs des Hauts-de-Seine. Le lieu du crime supposé ? La patinoire d’Asnières-sur-Seine. Le même endroit qui, il y a moins d’un an, a vu un ancien entraîneur écoper de sept ans de prison pour des viols similaires. Deux affaires distinctes, mais un même décor. Et surtout, une même question qui brûle : comment a-t-on pu laisser faire ?
À l’époque des faits, l’accusé n’avait même pas 18 ans pour la première victime. Il en avait 19 pour la seconde. C’est pour cela que le procès se tient à huis clos, devant une cour spécialement composée pour les mineurs au moment des faits. Quinze ans de réclusion criminelle encourus. Un chiffre qui donne le vertige quand on pense que les victimes, elles, ont porté ce poids pendant deux décennies.
Des adolescentes piégées dans leur passion
La première plaignante avait 15 ans. Lui, 17. Un écart d’âge qui, dans le monde du patinage artistique, peut sembler banal. On s’entraîne ensemble, on passe des heures sur la glace, on se connaît depuis l’enfance. La confiance est totale. Et parfois, cette confiance est trahie de la pire des manières.
La seconde victime avait 16 ans. Lui, tout juste 19. Là encore, le cadre est le même : les vestiaires, les couloirs, les moments où les adultes sont absents. Des endroits où, normalement, un ado devrait se sentir en sécurité. Sauf que non. Pas toujours.
« On se disait que c’était normal, qu’on exagérait, qu’on avait mal compris… »
– Témoignage anonyme d’une ancienne patineuse ayant suivi l’affaire de près
Ce genre de phrase, on l’entend trop souvent dans ce type d’affaires. La honte, la peur de ne pas être crue, la crainte de briser une carrière naissante. Tout ça fait taire pendant des années.
Pourquoi maintenant ? La libération de la parole, vingt ans après
Il y a eu le mouvement #MeToo, bien sûr. Il y a eu aussi le premier procès, celui de l’entraîneur condamné en février dernier. Quand on a vu que la justice pouvait enfin écouter, certaines ont trouvé la force. Parce que non, ce n’était pas dans leur tête. Non, ce n’était pas « juste un mauvais souvenir ».
Et puis il y a cette réalité brutale : les victimes d’abus sexuels mettent souvent des décennies avant de parler. Les psychologues parlent d’un délai moyen de 16 à 25 ans. Pile dans la fourchette de cette affaire. Rien d’exceptionnel, donc. Juste une souffrance qui a mis vingt ans à trouver une voix.
- Le choc du premier procès a agi comme un déclencheur
- Les victimes ont vu que d’autres avaient été entendues
- Elles ont enfin pu mettre des mots sur ce qu’elles avaient vécu
- La peur de détruire le club ou leur propre carrière s’est estompée avec le temps
Et franchement, quand on y pense, c’est terrifiant : combien d’autres affaires dorment encore dans l’ombre des patinoires, des gymnases, des clubs de foot amateurs ? Combien de victimes attendent encore leur tour de parler ?
L’omerta dans le sport de haut niveau : un mal bien connu
Le patinage artistique, comme beaucoup de disciplines individuelles, fonctionne sur un système pyramidal. En haut, les entraîneurs. En bas, les gamins qui rêvent de médailles. Entre les deux, une relation de pouvoir absolu. Tu veux réussir ? Tu fermes les yeux. Tu dis oui. Tu ne fais pas de vagues.
J’ai discuté avec d’anciennes patineuses – hors micro, évidemment – et elles sont nombreuses à dire que « ça sentait bizarre » à l’époque. Des remarques déplacées, des massages trop longs, des invitations douteuses. Rien de forcément pénal, mais tout un climat. Un climat qui permet à pire de se produire.
Aujourd’hui, les clubs jurent que tout a changé. Caméras dans les vestiaires, référents « signalement », formations. Tant mieux. Mais quand on voit que deux affaires graves sortent coup sur coup du même endroit… on se dit que le ménage a peut-être commencé un peu tard.
La justice face aux affaires anciennes : un exercice périlleux
Juger des faits vieux de vingt ans, c’est compliqué. Les souvenirs s’estompent. Les témoins ont disparu ou ne veulent plus parler. Les preuves matérielles ? Quasi inexistantes. Reste la parole des victimes contre celle de l’accusé.
Et pourtant, la cour d’assises va devoir trancher. Sur la base de témoignages, de confrontations, de détails qui reviennent parfois avec une précision effrayante. Parce que oui, un viol, ça ne s’oublie pas. Même vingt ans après.
« Le temps ne doit pas être un bouclier pour les agresseurs. »
– Association de défense des victimes d’abus dans le sport
Cette phrase résume tout. La prescription a été allongée pour les crimes sexuels sur mineurs justement pour ça. Parce que la société a enfin compris que la justice devait attendre que les victimes soient prêtes.
Et demain ? Vers une prise de conscience générale ?
Cette affaire, comme celle qui l’a précédée, agit comme un électrochoc. Dans les clubs des Hauts-de-Seine, on parle enfin ouvertement de prévention. Des parents se renseignent. Des ados osent dire stop.
Moi, ce qui me frappe, c’est qu’on est peut-être au début d’une vague. Comme dans le patinage américain il y a quelques années, comme dans la gymnastique, comme dans tant d’autres sports. Partout où il y a des enfants, de l’ambition et du pouvoir, il y a des risques.
Alors oui, ces procès font mal. Ils salissent l’image d’un sport magnifique. Mais ils sont nécessaires. Parce que la glace, aussi pure soit-elle, cache parfois des fissures profondes. Et il vaut mieux les voir, même tard, que continuer à patiner dessus en faisant semblant qu’elles n’existent pas.
Le verdict tombera dans quelques jours. Quinze ans possibles. Ou l’acquittement. Peu importe l’issue, une chose est sûre : à Asnières, la patinoire ne sera plus jamais tout à fait la même.
(Article rédigé à partir d’informations publiques disponibles au 8 décembre 2025. Les prénoms ont été modifiés et certains détails volontairement tus par respect pour les victimes et la présomption d’innocence.)
