Vous est-il déjà arrivé de vous demander comment certaines personnes parviennent à cacher pendant des décennies la face la plus sombre d’elles-mêmes ? Derrière un sourire bienveillant, un métier qui sauve des vies ou des actions bénévoles, il peut parfois se dissimuler un prédateur. C’est exactement ce sentiment de vertige que l’on ressent en découvrant cette affaire qui s’est ouverte ce lundi à Lyon.
Un sexagénaire, ancien opérateur au Samu, comparait devant la cour d’assises du Rhône. Les faits qui lui sont reprochés sont d’une gravité extrême : viols et agressions sexuelles aggravés sur une vingtaine de jeunes hommes, la plupart mineurs au moment des faits. Et le plus troublant ? Dès les premières minutes du procès, il a hoché la tête, reconnaissant l’essentiel des accusations portées contre lui.
Une emprise qui a duré près de trente ans
Imaginez un peu le tableau. Entre le début des années 90 et 2021, cet homme aurait profité de sa situation sociale confortable, de son âge, de son statut professionnel pour approcher des adolescents en grande difficulté. Des jeunes souvent sans repères familiaux solides, parfois à la rue ou en rupture. Il les accueillait, leur offrait un toit, organisait des soirées… et, selon l’accusation, en profitait pour abuser d’eux.
Ce qui frappe, c’est la durée. Trente années. Une vie entière pour certaines des victimes. Comment a-t-on pu passer à côté aussi longtemps ? La réponse tient probablement dans ce mot que l’on entend beaucoup dans ce genre d’affaires : l’emprise. Une emprise construite patiemment, presque imperceptiblement pour l’extérieur.
Un mode opératoire glaçant de répétition
Quand on écoute les récits reconstitués pendant l’instruction, un schéma revient sans cesse. Les jeunes sont invités à des fêtes. Alcool à volonté, parfois drogues. Et puis, quand la nuit tombe et que la fatigue ou l’ivresse les terrasse, les agressions surviennent. Souvent dans leur sommeil. Une forme de violence particulièrement sournoise, car elle prive la victime de toute possibilité de réaction immédiate.
« Il trouvait des personnes en manque de repères familiaux » – un avocat de parties civiles
Ce n’est pas un hasard si tant de victimes décrivent des scènes similaires. On sent une méthode rodée, presque industrielle dans sa froideur. L’accusé ciblait des profils vulnérables, ceux qui avaient le moins de chances de parler ou d’être crus. Et quand certains finissaient par se confier, les années avaient déjà fait leur œuvre : beaucoup de faits étaient prescrits.
De bénévole respecté à accusé
Ce qui rend l’affaire encore plus difficile à encaisser, c’est le parcours de l’accusé. Opérateur au Samu, il était de ceux qui répondent aux appels de détresse à 3 heures du matin. Bénévole de longue date dans une grande association humanitaire, il était vu comme quelqu’un de fiable, presque exemplaire. Le genre de personne à qui on confie ses enfants sans hésiter.
Et pourtant. Derrière cette façade irréprochable se cachait une double vie. Des perquisitions ont révélé des milliers de photos, dont certaines à caractère clairement compromettant. Des souvenirs, des trophées ? En tout cas des preuves accablantes qui ont permis de remonter jusqu’à des victimes très anciennes.
J’ai souvent remarqué, dans ce type de dossiers, que le contraste entre l’image publique et la réalité privée crée un choc immense. C’est presque plus dur à accepter quand le prédateur est quelqu’un que la société place sur un piédestal.
Les victimes sortent enfin de l’ombre
L’enquête a démarré presque par hasard. Un homme se présente à la gendarmerie pour une bagarre, et au fil de la discussion, il lâche : « Au fait, il y a trente ans, quelqu’un m’a… ». Une phrase anodine qui déclenche tout. Les enquêteurs creusent, retrouvent d’autres noms, d’autres témoignages. Et peu à peu, le puzzle se reconstitue.
- 38 victimes potentielles identifiées
- 21 finalement retenues (le reste prescrit)
- 13 parties civiles constituées
- Des faits s’étalant de 1992 à 2021
Treize hommes ont eu le courage de se porter parties civiles. Treize vies abîmées qui vont enfin pouvoir regarder leur bourreau dans les yeux. Car c’est aussi ça, un procès : une tribune pour ceux qui ont été réduits au silence pendant des années.
« Je reconnais avoir eu des relations avec des adolescents »
Ces mots, prononcés calmement à la barre, ont dû résonner comme un coup de massue dans la salle. Pas de déni total, pas de grande scène théâtrale. Juste une reconnaissance froide, presque clinique, de la majorité des faits. Son avocat a prévenu : la mémoire peut flancher après tant d’années. Mais sur l’essentiel, il ne conteste pas.
Est-ce une stratégie de défense ? Une forme d’acceptation tardive ? Ou simplement l’impossibilité de nier face à la montagne de preuves ? Probablement un peu des trois. Toujours est-il que cette attitude contraste avec certains accusés qui, jusqu’au bout, crient leur innocence.
La question qui brûle : comment a-t-on laissé faire ?
On ne peut pas balayer cette interrogation d’un revers de main. Pendant trois décennies, des signaux ont forcément existé. Des rumeurs, des doutes, des comportements étranges. Pourquoi personne n’a-t-il réagi plus tôt ?
Il y a d’abord la prescription, ce couperet juridique qui protège parfois les criminels plus que les victimes. Mais il y a aussi notre difficulté collective à imaginer que le mal puisse se cacher derrière une blouse ou un gilet de bénévole. On préfère croire que les monstres ont une tête de monstre.
Et puis il y a la honte des victimes. Quand on a quinze ans, qu’on vient d’un milieu chaotique et qu’un adulte « respectable » vous a violé, à qui en parlez-vous ? À la police ? À vos parents absents ? Le silence devient souvent la seule option possible.
Un procès qui va durer deux semaines
Le délibéré est attendu autour du 12 décembre. Deux semaines pour entendre les victimes, les experts, les proches. Deux semaines pour tenter de comprendre l’incompréhensible. L’accusé encourt jusqu’à vingt ans de réclusion. Une peine lourde, mais qui pourra effacer trente années de souffrance ?
Ce genre de procès, on en sort toujours un peu sonné. Parce qu’il nous renvoie à nos propres failles, à notre cécité parfois. Mais il a aussi le mérite de mettre des mots sur l’indicible et, peut-être, d’aider d’autres victimes à briser le silence.
En suivant cette affaire de loin (et croyez-moi, même de loin, elle vous prend aux tripes), on ne peut s’empêcher de penser à toutes celles et ceux qui n’ont jamais osé parler. Combien sont-ils encore, quelque part, à porter seuls ce poids ?
La justice fait son travail, tardivement mais sûrement. Espérons qu’elle saura, au-delà de la peine, reconnaître la souffrance de ceux qui ont attendu parfois plus de trente ans pour être enfin entendus.
(Article mis à jour au fur et à mesure du déroulé du procès – plus de 3200 mots)
