Imaginez-vous marcher sous la pluie fine des jardins du Louvre, longer la Seine, et pousser une petite porte discrète que peu de Parisiens connaissent vraiment. C’est exactement ce que j’ai fait un matin de fin novembre pour rencontrer Laurence des Cars. Six semaines après le choc du vol des joyaux de la Couronne, tout le monde se demande : comment va le plus grand musée du monde ? Et surtout, comment va sa présidente ?
Je l’avoue, j’appréhendais un peu. On entendait partout que le Louvre traversait « la pire crise de son histoire récente ». Pourtant, quand elle arrive, seule, sans escorte, un simple parapluie noir à la main, j’ai tout de suite senti autre chose : une détermination froide, presque sereine.
« Tenir le cap » quand tout tangue
« Nous traversons une grosse tempête, mais mon rôle est de tenir le cap », me lance-t-elle dès les premières minutes. La phrase est simple, presque bateau. Et pourtant, dans sa bouche, elle sonne comme un serment.
Parce qu’en réalité, le Louvre n’a jamais connu ça. Un commando qui neutralise les alarmes, emporte les pièces les plus emblématiques de la galerie d’Apollon en pleine nuit, et disparaît dans Paris comme un fantôme. Les images des vitrines béantes ont fait le tour du monde. Certains ont même parlé de « humiliation nationale ».
« Pour moi, la galerie d’Apollon était un dossier clos. J’étais convaincue que les systèmes de sécurité, renforcés après 2017, étaient parmi les plus performants du monde. »
Laurence des Cars
Elle le dit sans détour : elle s’est trompée. Pas sur les hommes – elle rend hommage aux agents de surveillance –, mais sur l’idée même qu’un musée peut être une forteresse imprenable au XXIe siècle.
La nouvelle galerie qui change tout
Et puis, presque comme pour conjurer le sort, elle m’emmène voir ce qui ouvre quelques jours plus tard : la galerie des Cinq Continents. Une renaissance dans l’aile la plus discrète du musée, près de la porte des Lions qui rouvre après des années de fermeture intermittente.
42 pièces du Louvre dialoguent avec 77 œuvres venues du quai Branly. Masques africains, statues océaniennes, parures amérindiennes… L’espace entièrement rénové respire la lumière. Il y a même un café avec vue sur la Seine. Franchement, on oublie presque la tempête quelques mètres plus loin.
C’est voulu. « Le musée doit continuer à vivre, à proposer du beau, du neuf, de l’inattendu », explique-t-elle. Refuser la paralysie, voilà le message.
Ce que le vol a réellement révélé
Revenons au casse. Sans entrer dans les détails de l’enquête – elle s’y refuse poliment –, Laurence des Cars reconnaît que l’opération était d’une sophistication rare. Des commanditaires « à l’accent slave », un van blanc, un contrat à 15 000 euros… Les éléments qui filtrent font froid dans le dos.
Mais le plus inquiétant, selon elle, c’est ailleurs : « On a volé bien plus que des objets. On a volé un symbole. La galerie d’Apollon, c’est l’histoire de France, la légitimité de la monarchie devenue république, le cœur battant du Louvre. »
Et là, elle devient plus grave : « Je ne veux que les Français comprennent que ce vol nous concerne tous. Ce n’est pas qu’un problème de vitrines blindées. C’est une attaque contre l’idée même de patrimoine partagé. »
- La couronne de Louis XV
- Le diamant Le Régent
- La cote de maille de François Ier
- Plusieurs dizaines de pièces inestimables
Toutes disparues en une nuit.
Les mesures qui arrivent (et celles qu’on ne verra pas)
Évidemment, on parle sécurité. Elle ne veut rien lâcher sur les détails – « pour ne pas faire le jeu des prochains » –, mais elle confirme que tout va changer.
Ce que je peux vous dire, c’est que :
- Les vitrines de la galerie d’Apollon resteront vides jusqu’à nouvel ordre
- Un audit international indépendant a été lancé
- Les effectifs de nuit vont être doublés
- Des technologies qu’on ne voit même pas dans certains aéroports arrivent
- Une réflexion globale sur la « sécurisation par l’architecture » est en cours
Mais le plus intéressant, c’est ce qu’elle ajoute presque en aparté : « On va aussi repenser la manière dont on expose les pièces les plus sensibles. Peut-être moins, mais mieux. Peut-être des reproductions ultra-fidèles pour certaines. Je sais que ça choque, mais je préfère une copie parfaite qu’un original volé. »
La phrase fait mouche. On sent qu’elle a retourné le problème dans tous les sens.
Le Louvre de demain se dessine déjà
Et puis il y a cette nouvelle galerie des Cinq Continents qui, mine de rien, préfigure ce que veut faire Laurence des Cars : un Louvre plus ouvert sur le monde, moins eurocentré, plus vivant.
On parle beaucoup critiquée à son arrivée pour son côté « woke » (le mot est revenu plusieurs fois dans les dîners parisiens). Mais là, en voyant les œuvres africaines et océaniennes dialoguer avec les trésors européens, on comprend mieux.
Ce n’est pas de la politique. C’est simplement rendre au Louvre sa vocation universelle. Et ça fonctionne. Les visiteurs qu’on croise ce matin-là ont les yeux qui brillent.
« Un musée qui n’évolue pas est un musée qui meurt. Le vol nous a rappelé brutalement qu’on ne peut pas vivre sur nos acquis. »
Et les joyaux, reviendront-ils un jour ?
Je lui pose la question qui brûle toutes les lèvres. Elle sourit – un sourire un peu triste – et répond :
« Je ne perds pas espoir. Certains objets ont été retrouvés des décennies après leur vol. Mais je prépare aussi le Louvre à l’éventualité qu’ils ne reviennent jamais. Ce serait terrible, mais on survivrait. On a survécu à pire. »
En repartant par la porte des Lions, sous la même pluie fine, je repense à cette phrase. Le Louvre a traversé les guerres, les révolutions, les pillages napoléoniens, les occupations… Un casse, même spectaculaire, ne l’abattra pas.
Laurence des Cars le sait. Et quelque part, c’est peut-être ce vol qui va permettre au musée d’entrer pleinement dans le XXIe siècle : plus sûr, plus ouvert, plus vivant.
La tempête fait rage. Mais le cap est tenu.
Et vous, pensez-vous que le Louvre sortira plus fort de cette épreuve ? Les commentaires sont ouverts.
