Imaginez ouvrir votre porte le matin et découvrir que le ciel a disparu, remplacé par un voile gris qui tombe doucement sur votre toit, vos cultures, votre vie entière. C’est ce que vivent en ce moment des milliers de Colombiens autour du volcan Puracé. Et pourtant, beaucoup refusent encore de partir.
Le réveil brutal d’un géant endormi
Depuis quelques jours, le Puracé ne fait plus semblant de dormir. Situé dans le département du Cauca, à un peu plus de 600 kilomètres de Bogotá, ce stratovolcan de 4 600 mètres d’altitude est passé en alerte orange. Cela signifie qu’une éruption majeure pourrait survenir dans les prochains jours, voire les prochaines heures. Les autorités ne prennent plus de gants : les panaches de cendres s’élèvent déjà à plus de 1 500 mètres au-dessus du cratère.
Ce qui frappe, c’est la vitesse à laquelle la situation a basculé. Fin novembre, on parlait encore d’une activité « modérée ». Aujourd’hui, les villages comme Coconuco, Puracé ou Paletará se réveillent sous une couche de cendres parfois épaisse de plusieurs centimètres. Les rues, les toits, les voitures, même les feuilles des bananiers : tout est gris.
« Il y a un peu de cendres ici… »
– Maria Fernanda, habitante de Coconuco
Ce « un peu » dit tout de la retenue des gens d’ici. On minimise, on relativise, parce qu’abandonner sa maison, ses animaux, ses souvenirs, c’est presque impensable.
Une odeur de soufre qui ne trompe pas
L’odeur, justement, est devenue insupportable dans certaines zones. Un mélange de soufre et d’œuf pourri qui irrite la gorge et pique les yeux. Les enfants toussent, les personnes âgées s’inquiètent pour leurs poumons. Les autorités distribuent des masques, mais on sait tous que ça ne suffira pas si le volcan décide de vraiment se mettre en colère.
Les images qui circulent sont impressionnantes : des colonnes de fumée blanche qui s’échappent du cratère, parfois éclairées la nuit par des lueurs rougeoyantes. On dirait presque beau, si on oublie ce que ça annonce.
Popayán dans la ligne de mire
À une trentaine de kilomètres seulement, la ville de Popayán observe le volcan avec angoisse. Cette cité coloniale de 300 000 habitants, surnommée la « ville blanche » pour ses façades immaculées, pourrait se retrouver ensevelie sous des centimètres de cendres en cas d’éruption explosive. Les lahars – ces coulées de boue volcanique – représentent l’autre menace majeure. Avec la fonte des neiges éternelles du sommet, les rivières pourraient se transformer en torrents destructeurs.
Je me souviens encore de l’éruption du Nevado del Ruiz en 1985. Plus de 23 000 morts à Armero. Toute une ville rayée de la carte en quelques heures. Le Puracé n’a pas la même taille, mais il a déjà prouvé par le passé qu’il ne fallait pas le sous-estimer.
« Partir ? Et aller où ? »
Le plus poignant, ce sont les témoignages des habitants. Marisol, membre de la communauté indigène, l’a dit avec une simplicité qui serre le cœur :
« Laisser nos parcelles, nos maisons où l’on a passé tant d’années, c’est très difficile. Il n’y a pas de lieu pour nous reloger. »
Cette phrase résume tout. On parle de familles qui vivent là depuis des générations. Leurs terres, leurs animaux, leurs morts enterrés dans le petit cimetière du village… Tout ça ne rentre pas dans un sac à dos.
Et puis il y a la question pratique, presque absurde dans sa cruauté : où iraient-ils ? Les abris temporaires prévus sont déjà saturés ou inexistants. Les hôtels ? Trop chers. Chez des proches en ville ? Tout le monde n’a pas cette chance.
L’agriculture en première ligne
- Les cultures de pommes de terre, complètement recouvertes
- Les pâtures où les vaches refusent de brouter l’herbe grise
- Les serres plastiques déchirées par le poids des cendres
- Les caféiers qui risquent de perdre leur récolte de l’année
Pour ces familles paysannes, c’est souvent toute une année de travail qui part en fumée – littéralement. Et l’État, même s’il promet des aides, ne pourra jamais compenser la perte d’une terre travaillée depuis l’enfance.
Le Puracé, un volcan à l’histoire mouvementée
Il faut dire que le Puracé n’en est pas à son coup d’essai. Sa dernière grosse éruption remonte à 1977, mais il a connu des périodes d’activité intense en 1849, 1869 et 1946. Les anciens du coin racontent encore les nuits où le ciel devenait rouge et où la terre tremblait sans discontinuer.
Aujourd’hui, les sismographes s’affolent à nouveau. Des centaines de petits tremblements par jour, des déformations du sol, une augmentation brutale des émissions de gaz… Tous les signaux sont au rouge.
Que faire quand la montagne se réveille ?
La question n’est plus de savoir si le Puracé va entrer en éruption, mais quand et comment. Les experts parlent d’un scénario probable : une éruption de type vulcanienne ou sous-plinienne, avec des colonnes de cendres pouvant atteindre 10 à 20 kilomètres de hauteur.
Dans le meilleur des cas, ce sera « juste » une pluie de cendres pendant plusieurs semaines. Dans le pire, des explosions plus violentes, des projections de bombes volcaniques, et ces fameuses coulées pyroclastiques qui ne laissent aucune chance.
Une solidarité qui s’organise malgré tout
Face à l’urgence, les communautés s’organisent. Des brigades de jeunes parcourent les villages pour nettoyer les toits avant que le poids des cendres ne les fasse s’effondrer. Les écoles sont fermées, les enfants portent des masques en permanence. On stocke l’eau potable, on protège les réservoirs.
Et puis il y a ces moments de dignité incroyable : des grand-mères qui refusent de partir sans leurs poules, des hommes qui restent pour garder les maisons, des enfants qui dessinent le volcan « en colère » sur leurs cahiers.
Et nous, qu’apprenons-nous de tout ça ?
Ce qui se passe en ce moment autour du Puracé, c’est plus qu’une simple actualité volcanologique. C’est un rappel brutal de notre fragilité face à la nature. On peut avoir les meilleurs scientifiques, les alertes les plus précises, les plans d’évacuation les plus détaillés… Rien ne prépare vraiment à devoir choisir entre sa vie et tout ce qui la constitue.
Il y a quelque chose de profondément humain dans ce refus de partir. Une forme de résistance tranquille, presque têtue. Comme si abandonner sa terre, c’était déjà un peu mourir.
Alors on regarde ces images d’un village gris, d’un volcan qui fume, et on se demande : à leur place, qu’est-ce que j’aurais fait ?
Pour l’instant, le Puracé continue de gronder. Les cendres continuent de tomber. Et les habitants continuent, envers et contre tout, de tenir bon.
Combien de temps encore ? Personne ne le sait. Mais une chose est sûre : dans ces villages andins, on est en train d’écrire une page d’histoire avec une dignité qui force le respect.
