Vous arrivez un matin dans votre chai, cet endroit chargé d’histoire où dorment patiemment vos précieuses eaux-de-vie. L’air embaume le bois et l’alcool mûri. Et là, le choc : plusieurs fûts ont été siphonnés pendant la nuit. Des milliers de litres partis en fumée. Vous alertez les gendarmes, déposez plainte. Mais quelques mois plus tard, une autre mauvaise surprise tombe dans la boîte aux lettres. Pas du voleur, non. De l’administration.
Une double peine qui révolte les viticulteurs charentais
Oui, vous avez bien lu. Après avoir subi un vol, certains producteurs de cognac se voient réclamer des taxes sur les volumes disparus. Comme si cet alcool avait été vendu normalement sur le marché. L’administration considère ces manques comme des sorties non justifiées, donc taxables. Et l’addition est lourde : au total, près de 247 000 euros pour l’ensemble des exploitants touchés ces derniers mois.
Prenez un exemple concret. Un viticulteur perd 5 000 litres d’eau-de-vie. Au lieu de compassion ou d’aide, il reçoit une facture de 84 000 euros. Payable en une fois, s’il vous plaît. Certains ont dû négocier un étalement pour ne pas couler définitivement. C’est ce qu’on appelle une double peine, et elle laisse un goût amer dans la bouche de toute une profession.
Un système tordu, hallucinant, et une double peine pour les victimes.
– Un responsable syndical du secteur
Comment fonctionne cette taxation surprenante ?
Pour comprendre, il faut plonger un peu dans les arcanes de la fiscalité sur les alcools. Les eaux-de-vie destinées à devenir du cognac sont stockées sous un régime particulier, dit « suspension de droits ». Tant qu’elles vieillissent dans les chais, aucune taxe n’est due. Mais dès qu’elles sortent – pour être vendues ou transformées – les droits d’accises s’appliquent.
Le problème ? Quand une partie disparaît sans trace justifiable, l’administration part du principe que cet alcool a été mis à la consommation. Donc, taxable. Peu importe que ce soit un vol avéré, avec plainte déposée et enquête en cours. La règle est rigide, presque mécanique. Et dans le cas présent, elle frappe des victimes déjà fragilisées.
J’ai du mal à ne pas trouver ça aberrant. D’un côté, on encourage les producteurs à déclarer scrupuleusement leurs stocks. De l’autre, on les pénalise lourdement dès qu’un imprévu survient. Où est la logique ?
Une ironie cruelle liée à l’exportation massive du cognac
Il y a pire. Ou plutôt, une ironie qui fait grincer des dents. Les droits d’accises ne s’appliquent pleinement que sur les volumes vendus en France. Or, plus de 97 % du cognac part à l’export. À l’étranger, ce sont les taxes du pays destinataire qui prennent le relais.
Du coup, paradoxe absolu : pour l’État français, un vol d’eau-de-vie destinée à l’export rapporte presque plus qu’une vente régulière sur le territoire national. C’est un responsable du secteur qui le dit sans détour : il serait « presque plus rentable » que les vols continuent. Évidemment, c’est dit avec une pointe d’humour noir. Mais le fond est là.
- Sur une bouteille vendue en France : taxes françaises pleines
- Sur une bouteille exportée : taxes minimes en France, principales à l’arrivée
- Sur une bouteille volée : taxes françaises appliquées comme si vendue localement
Vous voyez le décalage ? C’est comme si l’État profitait indirectement de l’insécurité qui touche les chais charentais.
Pourquoi les vols d’eaux-de-vie se multiplient-ils ?
Il faut se poser la question. Pourquoi ces cambriolages ciblés se développent-ils ces derniers temps ? Le cognac, surtout les millésimes anciens, vaut de l’or sur certains marchés parallèles. Une eau-de-vie bien vieillie peut atteindre des prix astronomiques.
Les méthodes sont souvent discrètes : entrée par effraction la nuit, siphonnage direct dans les fûts avec des pompes, départ sans bruit. Pas de casse spectaculaire, juste un manque constaté au contrôle suivant. Difficile à prévenir à 100 %, même avec des systèmes de surveillance.
Et puis, il y a la valeur. Un seul fût peut contenir des dizaines de milliers d’euros d’alcool en maturation. Pour des réseaux organisés, le jeu en vaut largement la chandelle. D’autant que revendre sur des circuits opaques reste possible, malgré les contrôles.
La mobilisation de la profession pour changer les règles
Heureusement, les viticulteurs ne restent pas les bras croisés. Les organisations professionnelles montent au créneau. Elles demandent une révision claire de la réglementation pour exclure les cas avérés de vol du calcul des accises.
Les exploitations viticoles ne peuvent être sacrifiées à cause d’une interprétation rigide et injuste de la réglementation.
– Un représentant national des producteurs d’AOC
Des discussions sont en cours avec les autorités. L’objectif : trouver une solution équitable qui protège les producteurs sans ouvrir la porte à des fraudes. Car personne ne veut ça non plus. Mais là, l’équilibre penche clairement du mauvais côté.
Certains espèrent même une mesure rétroactive pour annuler les factures déjà envoyées. Après tout, pourquoi faire payer des victimes ? C’est une question de bon sens, avant d’être une question technique.
Le contexte plus large de la filière cognac
Cette affaire ne sort pas de nulle part. La filière cognac traverse une période compliquée. Entre surproduction passée, baisse de la demande sur certains marchés, et maintenant ces vols, les défis s’accumulent.
Récemment, des plans d’arrachage de vigne ont été lancés pour rééquilibrer l’offre. Les prix du vrac ont chuté. Beaucoup d’exploitants jonglent déjà avec des marges serrées. Ajoutez une taxe imprévue de plusieurs dizaines de milliers d’euros, et c’est la survie qui est en jeu.
Le cognac reste un fleuron français, un produit d’exception reconnu mondialement. Mais derrière la belle image des grandes maisons, il y a des centaines de petits et moyens viticulteurs qui font vivre la région. Les protéger, c’est aussi préserver un patrimoine.
Vers une évolution de la réglementation ?
On peut l’espérer. D’autres pays européens gèrent différemment ce type de situation. Pourquoi pas s’inspirer des bonnes pratiques ? Une dérogation pour vols prouvés, une assurance spécifique, ou un fonds de solidarité sectoriel.
Ce qui est sûr, c’est que la mobilisation actuelle pourrait faire bouger les lignes. Quand toute une profession se lève pour dénoncer une injustice, l’État finit souvent par écouter. Surtout quand l’argument économique est solide : mieux vaut des exploitations viables qui exportent massivement que des fermetures en cascade.
En attendant, les viticulteurs renforcent leurs sécurités. Caméras, alarmes, rondes nocturnes. Mais rien ne remplace une réglementation juste. Car au final, qui paie vraiment la note ? Les producteurs, bien sûr. Et indirectement, l’image d’une filière d’excellence.
Ce genre d’histoire laisse songeur. On parle souvent de soutien à l’agriculture française. Voici un cas concret où un simple ajustement pourrait faire toute la différence. Espérons que les discussions aboutissent vite. Parce que dans les chais charentais, le temps joue contre ceux qui ont déjà tout perdu une première fois.
Et vous, qu’en pensez-vous ? Une règle trop rigide ou une nécessaire vigilance fiscale ? L’actualité nous rappelle parfois que derrière les textes, il y a des vies et des entreprises. Dans ce cas précis, l’équité semble avoir été oubliée un peu vite.
