Vous êtes chef d’une entreprise de travaux publics et, un matin, vous arrivez sur votre chantier : plus de pelleteuse, plus de mini-pelle, même le dumper a disparu. Ce cauchemar, des dizaines de patrons du BTP le vivent chaque année rien qu’en Île-de-France. Et dans le nord de la Seine-et-Marne, ça a pris ces derniers mois une ampleur presque industrielle.
J’ai voulu comprendre comment on en arrive là. Comment des machines qui pèsent plusieurs tonnes et valent des dizaines de milliers d’euros peuvent s’évaporer en une nuit, comme ça, sans laisser de traces. Et surtout : où finissent-elles ?
Un business rodé qui rapporte gros
Entre mai et septembre 2025, au moins quatorze vols ont été recensés dans un périmètre relativement restreint : Charny, Mitry-Mory, Compans, Thieux, Messy, Claye-Souilly… Des communes que beaucoup de Franciliens traversent sans même s’en rendre compte, mais qui concentrent énormément de chantiers avec l’extension continue de l’urbanisation vers l’est.
Le mode opératoire est toujours le même, ou presque. Repérages en journée, parfois plusieurs jours à l’avance. Puis, la nuit tombée, une équipe débarque avec un camion plateau ou une dépanneuse volée elle aussi. En moins d’une heure, la machine est chargée, les traces effacées, et direction un hangar discret où l’engin sera soit découpé pour les pièces, soit maquillé avant expédition.
Car oui, la destination finale, c’est souvent l’Europe de l’Est. Là-bas, une mini-pelle d’occasion en bon état se revend facilement 15 000 à 20 000 euros sans trop de questions sur la provenance. Quand on sait qu’une neuve dépasse allègrement les 50 000 euros, vous comprenez vite la marge.
« Une pelleteuse, c’est comme une grosse liasse de billets qui traîne sur un parking la nuit. Tout le monde sait que c’est cher, personne ne la surveille vraiment. »
Un chef de chantier que j’ai croisé récemment, désabusé
Le profil des voleurs : des locaux qui connaissent le terrain
Ce qui frappe, c’est que les suspects ne viennent pas de très loin. Deux frères de l’Oise, 29 et 32 ans, et un jeune homme de 20 ans du département voisin. Des gars du coin, ou presque, qui connaissent chaque petite route, chaque zone artisanale mal éclairée.
Le plus jeune a reconnu une partie des faits dès la garde à vue. Les deux autres, non. Pour eux, se trouver systématiquement près des chantiers au moment des vols, c’est « une coïncidence ». Difficile à avaler quand on voit le dossier.
Ce qui est sûr, c’est que l’organisation ne s’est pas montée en deux jours. Il faut des contacts pour écouler la marchandise, des planques, du matériel pour charger rapidement des engins de plusieurs tonnes. Bref, un vrai réseau.
200 000 euros de préjudice… et ce n’est qu’une partie visible
Le chiffre officiel tourne autour des 200 000 euros. Mais en réalité, c’est bien plus. Parce qu’une pelleteuse volée, ce n’est pas seulement le prix d’achat. C’est des semaines de chantier bloqué, des pénalités de retard, la location d’un engin de remplacement en urgence à des tarifs exorbitants, les assurances qui traînent des pieds…
- Une entreprise peut perdre plusieurs milliers d’euros par jour de retard
- Les assurances augmentent les primes après chaque sinistre
- Certains chantiers publics se retrouvent carrément arrêtés
- Et pendant ce temps, les voleurs, eux, touchent cash
J’ai discuté avec un artisan qui s’est fait voler deux mini-pelles en quinze jours. Il m’a confié qu’il avait failli mettre la clé sous la porte. Pas à cause du prix des machines – il était assuré – mais à cause des retards accumulés sur trois marchés publics. Des pénalités qui se chiffrent en dizaines de milliers d’euros.
Pourquoi c’est si facile de voler un engin de chantier ?
La réponse est désarmante de simplicité : parce que presque personne ne les protège vraiment.
Oui, il y a bien des GPS sur certains modèles haut de gamme. Mais beaucoup d’entreprises, surtout les petites, louent du matériel sans tracker. Et même quand il y en a un, il suffit d’un brouilleur à 200 euros acheté sur internet pour le rendre muet.
Ensuite, les chantiers sont souvent en pleine campagne, sans clôture digne de ce nom, sans gardien la nuit. Un grillage de 1,50 m, ça s’escalade ou ça se coupe en trente secondes.
Et le comble : la plupart des engins démarrent avec une clé universelle. Oui, vous avez bien lu. Sur certains modèles, la même clé ouvre des centaines de machines différentes. Pratique pour les loueurs, jackpot pour les voleurs.
Les gendarmes ont fini par frapper fort
Après des mois d’enquête, la brigade de recherches de Meaux a mis la main sur le trio en début de semaine. Perquisitions, saisies de téléphones, analyse des trajets GPS : tout y est passé.
Devant le tribunal correctionnel, la substitute du procureur a réclamé la détention provisoire. Risque de concertation, peines lourdes encourues, possibilité de fuite… Mais la défense a obtenu le contrôle judiciaire, avec interdiction de paraître en Seine-et-Marne d’ici le procès, désormais fixé au 9 février 2026.
« Ces 96 heures de garde à vue m’ont vraiment fait réfléchir »
Le plus jeune des prévenus, au moment de sa remise en liberté
Une phrase qui sonne presque comme un regret. Ou comme une stratégie de défense. Difficile à dire.
Un phénomène national qui explose
Ce qui se passe en Seine-et-Marne n’a malheureusement rien d’exceptionnel. En région parisienne, plus des deux tiers des entreprises du BTP déclarent avoir été victimes du vol de matériel au cours des dernières années. Mini-pelles, groupes électrogènes, tronçonneuses… rien n’est à l’abri.
Le coût total pour la profession se chiffre en dizaines de millions d’euros chaque année. Et pendant ce temps, les chantiers du Grand Paris, les extensions de zones commerciales, les lotissements continuent de fleurir. Autant de cibles potentielles.
Certains commencent à réagir. Des systèmes de géolocalisation plus sophistiqués, des alarmes couplées à des caméras, des clés électroniques individuelles… Mais tout ça a un coût. Et pour les petites structures, c’est souvent mission impossible.
Et maintenant ?
Le procès de février 2026 sera suivi de près. Pas seulement pour les peines qui seront prononcées, mais parce qu’il pourrait faire jurisprudence sur la qualification de ces vols : simple délit ou véritable criminalité organisée ?
En attendant, les chantiers du nord de la Seine-et-Marne continuent de tourner. Mais beaucoup de patrons dorment désormais avec un œil ouvert. Et certains ont carrément investi dans des chiens de garde ou des sociétés de surveillance privées.
Parce que, comme me l’a dit l’un d’eux : « On peut assurer une pelleteuse. Mais on n’assure pas le temps perdu. Et le temps, dans le BTP, c’est vraiment de l’argent. »
Une chose est sûre : tant que la demande existera à l’est et que la protection restera aussi légère à l’ouest, les nuits risquent de rester agitées sur les chantiers franciliens.
Et vous, avez-vous déjà été confronté à ce genre de vols sur un chantier ? Ou connaissez-vous quelqu’un dans le BTP qui a vécu ça ? Les commentaires sont ouverts, je serai curieux de lire vos expériences.
