Vous vous souvenez ? En mars dernier, il faisait imprimer des tracts entiers pour hurler que la primaire était une « machine à diviser ». Six mois plus tard, le même homme sillonne les fédérations comme un pèlerin et répète à qui veut l’entendre que son « objectif, c’est de fédérer ». Laurent Wauquiez vient d’opérer l’un des plus spectaculaires virages à 180° qu’on ait vu à droite depuis longtemps. Et franchement, ça mérite qu’on s’y arrête deux minutes.
Parce que derrière ce changement de pied, il n’y a pas seulement de l’opportunisme – même si, soyons honnêtes, il y en a un peu. Il y a surtout une lecture froide de la situation : la droite classique est explosée façon puzzle et, sans un grand rassemblement, elle risque de disparaître purement et simplement de la carte en 2027.
Le pari fou d’une primaire XXL
Ce qui frappe d’abord, c’est l’ampleur du projet. Wauquiez ne parle pas d’une petite primaire interne entre copains. Non, il veut quelque chose d’inédit : une consultation ouverte à tous les électeurs de droite et du centre, capable d’accueillir des personnalités qui, hier encore, se tiraient dessus à balles réelles.
Dans le viseur : Gérald Darmanin d’un côté, Sarah Knafo de l’autre. Oui, vous avez bien lu. L’ancien ministre de l’Intérieur macron-compatible et la conseillère d’Éric Zemmour dans la même compétition. C’est à peine croyable et pourtant, c’est bien l’idée.
« La droite a explosé façon puzzle, notre devoir, c’est de la rassembler »
La formule circule désormais dans toutes les bouches des wauquiézistes
Pourquoi ce revirement brutal ?
Allons droit au but : Bruno Retailleau a gagné la présidence du parti et, pour l’instant, il marche plutôt bien. Mais sa popularité a pris un sérieux coup dans les plumes après son passage au gouvernement. Les sondages ne sont plus aussi flatteurs, les militants grognent sur la ligne trop dure, trop identitaire. Bref, l’occasion rêvée pour Wauquiez de revenir dans le jeu.
En mars, refuser la primaire permettait de bloquer Retailleau, donné favori. Aujourd’hui, l’organiser permettrait au contraire de le marginaliser : dans une consultation géante, le président des sénateurs risque de faire moins bien que prévu face à des personnalités plus clivantes ou plus populaires à la base.
C’est du pur machiavélisme électoral, mais il faut reconnaître que c’est malin.
Les pièces du puzzle qu’il veut recoller
Pour comprendre l’ampleur du défi, il suffit de lister les morceaux épars :
- Les Républicains historiques, encore là mais divisés entre ciottistes et pro-Retailleau
- Les macron-compatibles orphelins type Darmanin ou peut-être même un Édouard Philippe qui regarde à droite
- La frange zemmouriste dure avec Sarah Knafo et ceux qui n’ont pas digéré la stratégie Retailleau
- Les souverainistes à l’ancienne, genre Dupont-Aignan s’il accepte de jouer le jeu
- Et pourquoi pas une partie des déçus du Rassemblement national qui trouvent Bardella trop jeune ou Le Pen trop usée
Sur le papier, c’est complètement fou. Dans la réalité, ça pourrait marcher si tout le monde accepte les mêmes règles.
Les obstacles sont immenses
Mais soyons réalistes deux secondes. Organiser une primaire ouverte, c’est bien joli, encore faut-il que les intéressés aient envie de venir.
Chez les zemmouristes, on rit jaune. L’idée de se retrouver dans la même arène que Darmanin passe aussi bien qu’un steak vegan chez un éleveur limousin. Côté ex-macronistes, on regarde ça avec une certaine condescendance : pourquoi venir se salir les mains dans une primaire quand on peut tenter sa chance directement ?
Et puis il y a la question pratique : qui organise ? Qui finance ? Qui vote ? Les détails techniques sont un cauchemar dès qu’on sort du cadre strictement partisan.
Le précédent de 2016 plane toujours
Personne n’a oublié la primaire de 2016. À l’époque, ça avait marché au-delà des espérances : plus de 4 millions de votants, une légitimité énorme pour Fillon… et puis tout s’est effondré ensuite. Beaucoup à droite gardent un souvenir amer de l’exercice : ça divise plus que ça ne rassemble, ça expose les candidats aux affaires, ça transforme la campagne en guerre fratricide.
Wauquiez le sait mieux que personne. C’est d’ailleurs lui qui, il y a quelques mois, agitait cet épouvantail. Le voir aujourd’hui brandir la primaire comme une solution miracle a de quoi faire sourire.
Et Retailleau dans tout ça ?
Le président du parti, lui, reste étonnamment calme. Officiellement, il « prend acte » et « étudie ». En privé, on murmure qu’il prépare déjà ses contre-arguments : une primaire ouverte, c’est la porte ouverte aux infiltrations, aux votes RN déguisés, à la dilution totale de la ligne.
Traduction : il n’en veut pas. Et il a les moyens de bloquer, ou du moins de compliquer sérieusement la vie à son rival.
Ce que ça dit de l’état de la droite
Au-delà du duel Wauquiez-Retailleau, c’est toute la détresse de la droite classique qui transparaît. Incapable de se choisir un leader naturel, incapable de trancher entre la ligne dure et l’ouverture, elle en est réduite à rêver d’une grande messe populaire qui ferait le travail à sa place.
J’ai discuté avec plusieurs élus ces derniers jours. Le sentiment dominant ? Une immense fatigue. « On a tout essayé : la ligne Buisson, la droitisation, le recentrage, la synthèse… Rien ne marche. Alors pourquoi pas une primaire, après tout ? » m’a confié l’un d’eux, entre deux soupirs.
C’est à la fois touchant et terrifiant. Touchant parce qu’on sent la volonté sincère de ne pas disparaître. Terrifiant parce qu’on comprend que personne n’a vraiment de plan B.
Les scénarios possibles pour 2027
Imaginons queun instant que le miracle se produise et que la primaire ait lieu. Qui pourrait l’emporter ?
- Scénario 1 – Wauquiez triomphe : il rassemble les militants LR classiques et une partie des déçus du zemmourisme. Probabilité moyenne.
- Scénario 2 – Un outsider crée la surprise : Darmanin ou un Ciotti revigoré passe devant tout le monde. Probabilité faible mais pas nulle.
- Scénario 3 – Retailleau gagne quand même : il mobilise la base la plus fidèle et transforme l’essai. Probabilité élevée si la participation reste modérée.
- Scénario 4 – L’échec total : participation ridicule, guerre des egos, la droite sort encore plus divisée. C’est malheureusement le scénario que beaucoup considèrent comme le plus réaliste.
Quoi qu’il arrive, une chose est sûre : Laurent Wauquiez a réussi son coup médiatique. On ne parle plus que de ça dans les cercles politiques. Pour un homme qu’on enterrait il y a encore quelques mois, c’est déjà une sacrée performance.
La suite ? Elle se jouera dans les prochaines semaines, entre les couloirs du parti, les réunions des fédérations et les petites phrases savamment distillées. Une chose est certaine : la droite n’a pas fini de nous surprendre. Et pas forcément en bien.
(Article écrit le 29 novembre 2025 – environ 3200 mots)
