Vous est-il déjà arrivé de vous demander jusqu’où un homme peut aller pour sauver son pays ? Quand on voit Volodymyr Zelensky multiplier les capitales européennes à un rythme effréné, on ne peut s’empêcher de penser qu’il court littéralement après le temps. Ce lundi 1er décembre 2025, le voilà de nouveau à Paris, pour la dixième fois depuis le début du conflit, reçu en grande pompe par Emmanuel Macron. Et pourtant, derrière les poignées de main et les déclarations d’amitié indéfectible, il y a cette réalité brutale : l’Ukraine se trouve à un carrefour historique.
Un agenda diplomatique à bout de souffle
Deux semaines à peine après sa précédente visite, Zelensky remet le couvert. Accompagné cette fois de son épouse Olena Zelenska, il débarque avec un objectif clair : rappeler à l’Europe qu’elle reste un acteur majeur, même si tout le monde n’a d’yeux que pour Washington en ce moment.
Car pendant que Paris déroule le tapis rouge, une délégation ukrainienne passait la journée de dimanche en Floride à négocier directement avec les émissaires de la nouvelle administration américaine. Des discussions qualifiées de « difficiles mais productives » par les deux parties. Le genre de formule qui ne dit rien et tout à la fois.
Que s’est-il vraiment passé en Floride ?
Rustem Umierov, chef de la délégation ukrainienne, a parlé de « progrès tangibles sur la voie d’une paix juste ». Des mots soigneusement pesés. Côté américain, on insiste sur le fait que l’Ukraine doit rester souveraine et indépendante. Jusque-là, tout va bien.
Mais quand on gratte un peu, on comprend que le plan initial en 28 points – celui qui ressemblait furieusement à une capitulation déguisée – a été raboté à 19 points. Exit certaines exigences les plus humiliantes, mais la question territoriale reste entière. La Crimée ? Le Donbass ? L’adhésion à l’OTAN ? Tout est encore sur la table, ou presque.
« Nous avons remercié les États-Unis pour leur soutien indéfectible et leur intérêt sincère à parvenir à un résultat commun. Il reste encore beaucoup de travail à accomplir. »
Rustem Umierov, secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense ukrainien
Traduction : on avance, mais on est encore très loin du compte. Et surtout, Moscou n’a toujours pas dit oui. Vladimir Poutine, fidèle à lui-même, laisse traîner, attend, observe les divisions occidentales comme on regarde une partie d’échecs se jouer toute seule.
Pourquoi Paris, encore et toujours ?
Emmanuel Macron a fait de la question ukrainienne un axe fort de sa politique étrangère. Casque sur les oreilles à Kiev dès mars 2022, promesses d’armement, conférences de soutien… Il a multiplié les gestes. Mais aujourd’hui, le contexte a changé. Les Américain est de retour, avec une vision bien différente de l’Europe sur la manière de mettre fin à la guerre.
Pour Zelensky, venir à Paris, c’est d’abord s’assurer que la France – et à travers elle l’Union européenne – ne lâchera pas l’affaire. C’est aussi rappeler que l’Ukraine ne signera jamais un accord qui ressemblerait à une reddition. Et enfin, c’est probablement obtenir des garanties sur le long terme : reconstruction, sécurité, énergie.
- Renforcer le soutien militaire européen alors que certains pays fatiguent
- Maintenir la pression des sanctions sur la Russie
- Obtenir des engagements concrets sur la reconstruction (on parle de centaines de milliards)
- Préparer l’après-guerre : quelle place pour l’Ukraine en Europe ?
J’ai personnellement toujours trouvé fascinant ce ballet diplomatique. Un président qui passe sa vie dans les avions, qui dort à peine, qui répète inlassablement le même message. C’est à la fois héroïque et désespéré.
Les lignes rouges ukrainiennes : toujours les mêmes ?
Officiellement, oui. Kiev continue d’exiger le retrait total des troupes russes, y compris de Crimée, le paiement de réparations, et des garanties de sécurité solides. Mais dans les couloirs, on murmure que la réalité est plus nuancée.
L’armée ukrainienne a montré une résilience incroyable, mais elle paie le prix fort. Les pertes sont énormes, les infrastructures détruites, l’économie exsangue. Et surtout, l’hiver approche – encore un – avec son lot de coupures d’électricité et de bombardements sur le réseau énergétique.
Alors oui, Zelensky peut se permettre de dire non à tout accord qui sentirait trop la défaite. Mais jusqu’à quand ? C’est là toute la question que se posent les chancelleries européennes.
Et l’Europe dans tout ça ?
L’Europe a surpris tout le monde par son unité au début du conflit. Trois ans plus tard, les fissures apparaissent. Certains pays de l’Est restent inflexibles, d’autres – plus à l’ouest ou au sud – commencent à parler coût, fatigue, priorités internes.
La visite de Zelensky à Paris est aussi un message à Berlin, Rome, Madrid : ne nous laissez pas tomber maintenant. Car si les États-Unis imposent un accord boiteux, l’Europe sera bien obligée de suivre… ou de se désolidariser, avec toutes les conséquences que cela implique pour l’unité du continent.
Personnellement, je trouve que l’aspect le plus inquiétant n’est pas tant ce qui se dit dans les salons de l’Élysée, mais ce qui se murmure dans les couloirs : l’idée qu’un cessez-le-feu pourrait être imposé sans règlement politique global. Un « gel » du conflit, comme en Corée. L’Ukraine deviendrait alors une frontière militarisée permanente de l’Europe. Est-ce vraiment ce que nous voulons ?
Ce qui pourrait sortir de la rencontre Macron-Zelensky
Concrètement, on peut s’attendre à plusieurs annonces :
- Un nouveau paquet d’aide militaire français (missiles, radars, formation)
- Une initiative européenne sur la reconstruction (peut-être via la saisie des avoirs russes gelés)
- Un message fort sur le refus de toute légitimation de l’annexion de territoires
- Des discussions sur la sécurité énergétique pour l’hiver
Mais le plus important sera probablement dans le non-dit : la volonté française de rester un interlocuteur privilégié entre Kiev et Washington. Macron veut manifestement jouer les médiateurs, ou du moins ne pas être mis sur la touche.
Et demain ?
La vérité, c’est que personne ne sait vraiment où tout cela nous mène. Les négociations peuvent avancer rapidement… ou s’effondrer en quelques jours. Poutine peut dire oui à un cessez-le-feu à tout moment, ou au contraire durcir le ton pour obtenir plus.
Ce qui est sûr, c’est que chaque visite de Zelensky dans une capitale européenne est un rappel : cette guerre nous concerne tous. Pas seulement parce qu’elle se déroule à nos portes, mais parce qu’elle redessine l’ordre mondial pour des décennies.
Alors quand on voit ce président épuisé mais déterminé descendre de son avion sous la pluie parisienne, on ne peut s’empêcher de penser qu’il porte sur ses épaules bien plus que le destin de l’Ukraine. Il porte aussi une partie de l’idée que nous nous faisons de l’Europe et de la liberté.
Et ça, ça vaut bien une dixième visite à Paris.
