Vous vous souvenez du bruit caractéristique des bouteilles de lait qui s’entrechoquaient dans le casier métallique du laitier ? Ce petit tintement du matin qui sentait bon les années 60 ? J’ai toujours trouvé ça incroyablement réconfortant. Et figurez-vous que ce son pourrait bien faire son grand retour dans nos quartiers.
Parce que oui, la consigne du verre, que beaucoup croyaient enterrée avec les vinyles et les cabines téléphoniques, est en train de vivre une renaissance spectaculaire. Et pas juste dans un coin de campagne nostalgique : en pleine ville, avec des camionnettes électriques et une logistique digne d’Amazon. L’histoire que je vais vous raconter aujourd’hui, c’est celle de deux jeunes femmes qui ont tout plaqué pour ressusciter ce modèle d’un autre temps… et qui viennent de réussir un coup magistral.
Quand deux startups décident de faire cause commune contre le jetable
Imaginez la scène. Nous sommes en 2021. Deux copines, Juliette et Camille, fraîchement diplômées de grandes écoles, sont censées faire carrière dans le conseil en stratégie. Salaire confortable, costume impeccable, réunions PowerPoint à n’en plus finir. Mais non. Elles décident de tout envoyer balader pour une idée folle : relancer la consigne du verre en Île-de-France.
À l’époque, tout le monde leur dit qu’elles sont cinglées. « La consigne ? Mais ça n’existe plus depuis quarante ans ! » Eh bien si, justement. Et c’est bien le problème.
Pendant ce temps-là, à Lille, trois autres entrepreneurs lançaient exactement le même concept six mois plus tôt. Même combat, même envie de changer les choses. Chacun dans son coin, les deux projets grandissent à vitesse grand V. L’un conquiert la province, l’autre s’implante solidement en région parisienne.
Et puis arrive décembre 2025. Les deux équipes se regardent, se parlent, et se disent : pourquoi continuer à se faire concurrence alors qu’on peut accélérer le mouvement ensemble ? Le 2 décembre, l’annonce tombe : fusion. La petite startup des Yvelines monte dans le Fourgon (c’est le nom de l’entreprise lilloise) pour sillonner toute la France.
Un modèle simple, mais diablement efficace
Le principe ? Vous commandez vos boissons (lait, jus, bière, limonade, eau pétillante…) en bouteilles verre consignées sur le site. Un livreur passe chez vous en camionnette électrique. Il vous apporte vos bouteilles pleines et récupère les vides de la dernière fois. Les bouteilles repartent au lavage (dans des centres ultra-modernes), puis reviennent dans le circuit. Boucle fermée. Zéro déchet.
Ce qui me bluffe, c’est la simplicité. On se dit « évidemment ! » une fois qu’on l’a sous les yeux. Pourtant, il a fallu tout réinventer : les casiers, les systèmes de traçabilité, les centres de lavage, la logistique du dernier kilomètre en électrique… Rien n’existait plus.
« On est passés d’une échelle locale à une échelle nationale tout en gardant la même mission : rendre la consigne aussi banale que de mettre son verre dans le conteneur de tri. »
Juliette Poiret, cofondatrice
Des chiffres qui donnent le tournis
Quand on regarde les chiffres, on comprend mieux l’ampleur du phénomène. La nouvelle entité couvre désormais 45 % du territoire français. 100 000 clients réguliers. Plus de 4,5 millions d’emballages déjà sauvés de la poubelle ou du recyclage en quatre ans pour la seule partie francilienne.
Mais le plus fou, c’est l’objectif : 3 millions de contenants réemployés par mois d’ici 2028. Trois millions. Par mois. Laissez-moi vous remettre ça en perspective : ça représente l’équivalent de plus de 100 camions-bennes d’ordures en moins chaque mois. Rien que ça.
- 900 références disponibles (lait, bières artisanales, jus de fruits, sodas, vins, même huiles et vinaigres)
- Des camionnettes 100 % électriques
- Deux centres de lavage ultra-modernes (capacité de plusieurs centaines de milliers de bouteilles par jour)
- Une équipe qui est passée de 2 à plus de 200 personnes en quatre ans
Pourquoi ça marche maintenant et pas avant ?
Plusieurs éléments ont joué. D’abord, la prise de conscience écologique massive. Les gens en ont marre de voir des montagnes de plastique et de verre à usage unique. Ensuite, la loi anti-gaspillage (loi AGEC) qui fixe des objectifs ambitieux de réemploi. Et enfin, la technologie : sans qui rien n’aurait été possible.
Parce que soyons honnêtes : dans les années 80, la consigne a disparu à cause de la logistique. Trop cher, trop compliqué. Aujourd’hui, avec les outils numériques, le tracking par QR code, les algorithmes d’optimisation de tournées et les véhicules électriques, tout change. Le vieux modèle devient soudain hyper-moderne.
Petite confidence : la première fois que j’ai testé le service (oui, j’ai craqué), j’ai été surpris par la qualité. Les bouteilles sont nickel, le lait est délicieux, et le livreur est d’une gentillesse rare. On retrouve ce petit plaisir oublié de discuter deux minutes avec le gars qui vous apporte le lait.
Et les clients, ils en pensent quoi ?
Les retours sont unanimes. Pratique, écologique, et souvent moins cher sur certains produits (parce que la consigne est remboursée). Les familles adorent : plus besoin de porter les packs d’eau du supermarché jusqu’au coffre. Les écolos purs et durs sont aux anges. Et même les sceptiques finissent par adopter le réflexe.
Le seul frein restant ? L’habitude. Changer ses courses, c’est toujours un petit effort. Mais une fois le premier pas fait, 90 % des clients restent. Le taux de fidélité est dingue.
Vers une France 100 % consigne ?
La nouvelle entité ne compte pas s’arrêter là. L’objectif affiché est clair : devenir le réemploi doit devenir la norme, pas l’exception. Et pour ça, il faut grossir encore. Nouveaux centres de lavage, extension dans les zones rurales, partenariats avec les producteurs locaux, intégration de nouveaux types d’emballages (bocaux, pots de yaourt en verre…).
Ce qui est intéressant, c’est que cette fusion envoie un signal fort à tout l’écosystème. Les grands groupes agroalimentaires commencent à regarder le modèle avec intérêt. Certains producteurs indépendants sautent déjà le pas. Et même certaines enseignes de la grande distribution réfléchissent à des corners consigne.
On est peut-être à l’aube d’un vrai changement de paradigme. Passer du « tout jetable » au « tout réutilisable ». Et si ça marche pour une révolution tranquille ?
Ce que cette histoire nous dit de notre époque
Au-delà des chiffres et de la logistique, il y a quelque chose de profondément inspirant dans cette aventure. Deux jeunes femmes qui refusent le chemin tout tracé. Des entrepreneurs du Nord et de région parisienne qui choisissent la coopération plutôt que la guerre des egos. Une technologie au service de l’écologie plutôt que du gadget inutile.
Dans un monde où on nous bassine avec l’éco-anxiété et l’impuissance face au changement climatique, voilà une histoire qui fait du bien. Une preuve que quand on allie conviction, intelligence et persévérance, on peut bouger les lignes. Vraiment.
Alors la prochaine fois que vous croiserez une camionnette bleue avec des casiers de bouteilles, souriez. C’est peut-être le bruit d’un vieux modèle qui renaît. Et d’un avenir un peu plus propre qui se dessine.
Et qui sait… peut-être que dans quelques années, nos enfants nous demanderont, incrédules : « Attends, vous jetiez vraiment vos bouteilles en verre à la poubelle ?? »
