Vous est-il déjà arrivé de vous dire, des années après, « j’ai été tellement naïve » ?
Cette phrase, je l’ai entendue des dizaines de fois dans la bouche de victimes d’emprise. Mais quand elle sort de la bouche d’une jeune femme qui rêvait simplement de tourner dans un film, elle prend une dimension particulièrement cruelle. Depuis cette semaine, un homme de 51 ans comparait devant la cour d’assises des Hauts-de-Seine pour viols et agressions sexuelles sur cinq jeunes actrices (ou aspirantes actrices). Et ce qu’on découvre au fil des audiences donne la nausée.
Le scénario était (trop) bien rodé
Tout commence presque toujours de la même façon. Une jeune femme, souvent entre 18 et 25 ans, inscrite sur une plateforme de casting ou tout juste sortie d’une école de théâtre renommée. Elle poste ses photos, son CV encore mince, ses rêves en grand format. Et là, miracle : un « réalisateur » la contacte directement.
Il a un projet de film « important ». Il parle de co-productions internationales, de festivals, de stars confirmées qui seraient déjà attachées au projet (les noms changent selon les années, mais on reconnaît le même storytelling). Il propose un rendez-vous « professionnel » dans les locaux de sa société, souvent à Neuilly ou dans le 8e arrondissement de Paris – ça fait plus sérieux.
Jusqu’ici, rien d’anormal. Sauf que dès le premier contact, quelque chose cloche. Les messages sont un peu trop flatteurs, un peu trop pressants. Mais bon… on se dit que dans ce milieu, tout le monde est un peu excentrique, non ?
L’alcool, la drogue, puis l’agression
Une fois sur place, l’ambiance change rapidement. Le « bureau » ressemble plus à un appartement aménagé. Il propose un verre « pour détendre l’atmosphère ». Puis un deuxième. Parfois un joint, parfois autre chose. « C’est pour libérer les émotions, tu comprends, pour le rôle il faut être vraie ».
« J’étais complètement stone, je ne comprenais plus ce qui se passait. Il m’a dit que c’était normal, que toutes les grandes actrices étaient passées par là. »
– Témoignage d’une victime recueilli à l’audience
Et là, la mécanique se met en route. Baisers forcés, caresses imposées, puis viol. Certaines disent s’être senties paralysées, d’autres avoir tenté de résister mais sans force à cause des substances. Toutes décrivent la même sidération : « Je me disais que si je disais non, je n’aurais jamais le rôle. Et lui répétait que c’était le prix à payer ».
L’aspect le plus révoltant ? Il filmait parfois les scènes. Officiellement « pour voir la chimie à l’écran ». En réalité, un moyen de pression supplémentaire : « Si tu parles, tout le monde verra ça ».
Un prédateur qui opérait depuis quinze ans
La plus ancienne victime connue remonte à il y a une quinzaine d’années. La plus récente, à 2015-2016. Entre-temps, combien d’autres jeunes femmes ? Les enquêteurs en ont identifié au moins cinq qui ont eu le courage de porter plainte. Mais à l’audience, on sent que le chiffre est probablement bien plus élevé.
Ce qui frappe, c’est la répétition quasi industrielle du mode opératoire. On est loin du « dérapage isolé ». C’est une véritable chasse organisée, avec des scripts rodés, des phrases toutes faites, des lieux préparés. Un ancien collaborateur a même témoigné qu’il avait déjà vu des jeunes femmes « bizarre » sortir du bureau, mais qu’il n’avait « rien osé dire ».
- Contact via plateformes de casting ou réseaux pro
- Promesse de rôle majeur avec acteurs connus
- Rendez-vous dans un bureau-appartement
- Alcool et stupéfiants pour « libérer les émotions »
- Agression sexuelle ou viol
- Menaces implicites ou explicites pour garantir le silence
Le schéma est tellement identique qu’on se demande comment personne n’a réagi plus tôt. Peur de ne pas être cru ? Honte ? Ou simplement l’incroyable pouvoir de l’espoir fou de « percer » dans ce milieu ultra-concurrentiel ?
Le profil psychologique du manipulateur
À la barre, l’accusé nie tout en bloc. Selon lui, toutes les relations étaient consenties, les jeunes femmes « cherchaient juste à se faire remarquer ». Il parle de « malentendu générationnel », de « libération sexuelle ». Le genre de défense qu’on a malheureusement déjà entendu trop entendue.
Les experts psychiatres sont beaucoup moins tendres. Ils décrivent un individu avec un narcissisme pathologique, une absence totale d’empathie, et une emprise prédatrice particulièrement élaborée. L’un d’eux a même employé le terme de « prédateur sexuel en série ».
« Il ne ressent aucune culpabilité. Pour lui, ces jeunes femmes étaient des objets à sa disposition, des marches pour gravir son ego. »
– Rapport d’expertise psychiatrique
Ce qui glace le sang, c’est qu’il continue, encore aujourd’hui, à se présenter comme une victime du « puritanisme ambiant » et du mouvement #MeToo. Comme si balancer des noms de stars et ouvrir une bouteille de champagne suffisait à transformer une agression en « moment de complicité artistique ».
Les séquelles, quinze ans après
L’une des victimes, agressée il y a plus de dix ans, a témoigné à huis clos. Elle a expliqué avoir mis des années à comprendre ce qui lui était arrivé. Syndrome de stress post-traumatique, dépression, abandon total du métier d’actrice. Aujourd’hui, elle travaille dans un domaine qui n’a rien à voir avec le cinéma. « J’ai l’impression que mon rêve m’a été volé ce jour-là ».
Une autre a tenté de se suicider à plusieurs reprises. Elle explique que le pire n’était pas seulement le viol, mais le sentiment d’avoir été complètement manipulée, d’avoir cru à un mensonge si gros qu’elle s’en veut encore aujourd’hui. « C’est un manipulateur et moi j’étais bête », a-t-elle lâché dans un souffle au tribunal. Cette phrase résonne encore dans la salle.
Et pourtant, elles sont là, toutes les cinq, venues affronter leur bourreau. Certaines tremblent, d’autres pleurent, mais elles parlent. C’est déjà une victoire.
Et maintenant ?
Le procès doit durer encore plusieurs jours. L’accusé risque jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle. Mais au-delà de la peine, ce qui importe, c’est que ce genre d’affaire ne soit plus jamais banalisé.
Dans les écoles de théâtre, on commence enfin à parler de « castings sauvages » et à mettre en place des chartes de bonne conduite. Certaines plateformes de casting renforcent leurs modérations. Des associations accompagnent désormais les jeunes comédien(ne)s pour repérer les signaux d’alerte.
Mais il reste tant à faire. Car tant qu’il y aura des rêves à vendre, il y aura des gens pour en profiter. Et tant qu’on continuera à idéaliser le « le prix de la gloire », certains penseront qu’ils ont tous les droits.
Alors oui, ce procès est douloureux. Mais il est nécessaire. Parce que derrière chaque victime qui parle, il y en a dix qui se taisent encore. Et que leur voix compte. Et que non, rêver de cinéma ne devrait jamais coûter sa dignité.
Personne ne devrait avoir à choisir entre son rêve et son intégrité. Jamais.
