Vous êtes déjà monté dans un vol long-courrier en partant de São Paulo ? Moi oui. Et franchement, quand je lis ce genre d’histoire, je ne regarde plus jamais les passagers autour de moi de la même façon.
Parce que pendant un an, plusieurs fois par semaine des « mules » parfaitement ordinaires ont atterri à Roissy avec, dans leurs bagages ou dans leur estomac, environ 2,5 kg de cocaïne chacun. Multipliez par 59 personnes et vous obtenez 147 kg de marchandise, soit plus de 9 millions d’euros à la revente. C’est énorme. Et pourtant, ça passait presque inaperçu.
Un réseau brésilien ultra-rodé qui misait sur la routine
Ce qui frappe d’entrée, c’est la banalité du dispositif. Pas de conteneurs géants, pas de sous-marins artisanaux, non : juste des voyageurs lambda qui prennent le même vol commercial que vous et moi. Le genre de personne qu’on croise à la file du contrôle passeport et à qui on sourit poliment.
Le schéma était d’une simplicité effrayante :
- Départ de l’aéroport de Guarulhos (São Paulo)
- Vol direct de 11 heures vers Paris-Charles de Gaulle
- À l’arrivée, passage des douanes françaises (souvent sans souci)
- Prise en charge immédiate par un « taxi » du réseau qui file vers la Belgique
Pourquoi la Belgique ? Parce que le marché y est plus rémunérateur et les contrôles routiers moins systématiques qu’en France. Un petit détour de 300 km et hop, la marchandise disparaît dans la frontière.
J’ai presque envie de dire que c’est du génie criminel dans sa forme la plus pure : utiliser le transport aérien civil de masse comme un tapis roulant géant.
Les mules : des profils ordinaires, des vies parfois brisées
On imagine souvent les mules comme des jeunes paumés ou des desperados. La réalité est plus nuancée. Oui, il y a ceux qui le font pour 3 000 ou 5 000 euros le voyage, une somme qui change une vie quand on gagne le SMIC brésilien. Mais il y a aussi des mères de famille, des chômeurs longue durée, parfois même des retraités.
Ce qui me glace, c’est qu’une partie d’entre eux avalent les boulettes. Vous savez, ces capsules en latex remplies de poudre, entourées de plusieurs couches pour éviter la rupture. Une rupture et c’est létal en quelques minutes. Ils jouent leur vie à la roulette russe pour quelques milliers d’euros.
« On leur fait croire que c’est facile, qu’il y a zéro risque, que tout est sous contrôle. Et quand ils sont dans l’avion, il est déjà trop tard pour faire demi-tour. »
– Un enquêteur spécialisé que j’ai croisé il y a quelques années
L’opération coup de poing du 1er décembre
L’enquête a duré des mois. Les gendarmes des transports aériens (ceux qu’on appelle la SRTA) ont patiemment reconstitué le puzzle : réservations d’avion groupées, mêmes hôtels à São Paulo, numéros de téléphone qui reviennent sans cesse, visages récurrents sur les caméras de vidéosurveillance de Roissy.
Puis est venu le jour J. Le 1er décembre 2025, plusieurs équipes ont frappé en même temps :
- Interpellations à l’arrivée de vols en provenance du Brésil
- Perquisitions en région parisienne et dans le nord de la France
- Arrestation du chef présumé du réseau, un Brésilien installé en Europe
- Mandat d’arrêt européen contre un dernier logisticien
Résultat : quatre mises en détention provisoire, dont le cerveau brésilien, et un réseau complètement décapité.
147 kg, c’est beaucoup ou peu ?
147 kilos, ça peut paraître énorme pour le grand public. En réalité, dans le monde du narcotrafic sud-américain, c’est une goutte d’eau. Les cartels mexicains ou colombiens font passer des tonnes par semaine via des routes maritimes ou des tunnels.
Mais en Europe, et surtout via les aéroports, c’est une prise significative. D’abord parce que la cocaïne qui arrive par avion est généralement plus pure (moins coupée) donc plus chère. Ensuite parce que chaque mule arrêtée, c’est une famille qui n’aura pas sa dose ce week-end-là à Anvers ou Amsterdam.
Et puis il y a le message envoyé : même les réseaux « discrets » finissent par tomber.
La cocaïne, premier marché de drogue en France
Ce démantèlement arrive alors que les chiffres de l’Observatoire français des drogues viennent de tomber : en 2023, le marché de la cocaïne a généré 3,1 milliards d’euros en France métropolitaine. C’est plus que le cannabis (2,7 milliards), alors qu’il est bien plus consommé).
Entre 2010 et 2023, la consommation tricolore de cocaïne a tout simplement triplé, passant de 15 tonnes à plus de 47 tonnes par an. Autrement dit, on est passé du statut de pays de transit à celui de gros consommateur final.
| Année | Consommation cocaïne France | Chiffre d’affaires estimé |
| 2010 | 15 tonnes | ~1 milliard € |
| 2020 | 28 tonnes | ~2 milliards € |
| 2023 | 47,1 tonnes | 3,1 milliards € |
Ces chiffres donnent le tournis. Et ils expliquent pourquoi les réseaux sud-américains se battent pour chaque gramme qui entre sur le Vieux Continent.
Et maintenant ?
Le chef brésilien est en prison, les mules interpellées, le réseau décapité. Victoire ? À court terme, oui. À long terme, on sait tous que d’autres prendront la relève. Peut-être avec des méthodes différentes, peut-être sur d’autres lignes aériennes (Madrid, Lisbonne, Amsterdam sont aussi très prisées).
Mais chaque opération comme celle-ci fait grimper le prix de la prise de risque. Et ça, c’est déjà une petite victoire pour les forces de l’ordre qui se battent au quotidien contre un monstre aux mille têtes.
Quant à nous, voyageurs ordinaires, la prochaine fois qu’on prendra un vol São Paulo-Paris, on regardera peut-être avec un peu plus d’attention la personne assise à côté. Pas par paranoïa. Juste parce que la réalité dépasse parfois la fiction la plus sombre.
Et vous, avez-vous déjà croisé une mule sans le savoir ? Racontez-moi en commentaire si vous avez été témoin de scènes bizarres en aéroport. Je lis tout.
